Oh comme il est difficile de faire une critique de ce film, oh combien riche, oh combien beau, profond, sensible, puissant, et tout ne se limite pas à la parole qu'il délivre, mais qu'il est néanmoins nécessaire de comprendre pour admirer les images et le grand génie qu'est Scorsese. Car acceptez-le ou non, mais pour s'atteler à une vision de la vie du Christ, différentes des canons, il faut pouvoir s'appuyer sur un socle puissant de qualité cinématographique.

Une entreprise qui nécessite du courage, car même si Scorsese est lui-même d'obédience catholique, réaliser un film sur une vision subversive de la vie du Christ est hasardeux. Je n'ai pas lu le livre donc je ne sais pas quelle est la volonté de l'auteur ainsi je ne parlerai que du film. Au moment de la sortie j'ai vu que ça avait été un scandale pour la société bien pensante. Mais la première réussite de Scorsese, et il faut comprendre cela pour pénétrer le film et son essence, c'est aussi de mettre en lumière (consciemment ou non de la part de Scorsese) les limites et l'orgueil d'une certaine partie de la société catholique. Car son film bien que subversif montre un point de vue, dissident, mais au combien en accord avec l'idée de foi. Car oui il est question de foi, il n'y a pas de délire mystique, pas de contestation, mais bel et bien un point de vue, car bien que l'histoire biblique soit écrite d'une certaine façon son interprétation n'est pas fausse ou plus vraie si elle conserve son point final qui est l'essence de la foi. Il s'agit donc de bien comprendre ce qui fait de la religion son mystère, et donc la définition même de foi. Croire, comme le dit bien le mot, ce n'est pas savoir, ni voir, mais faire "foi" d'une volonté de ne pas forcément savoir et de reconnaître quelque chose sans le connaître. C'est l'acte subséquent de la parole du Christ et de l'écriture biblique. Je n'évangélise pas mais tente d'expliquer un concept qui divise. Que l'on soit athée ou croyant la façon dont doit s'exprimer cette foi est souvent sujet à critique, à haine et violence, ceci étant dit laissons de côté cet aspect et concentrons notre compréhension sur comment Scorsese met en image, et sublime une vision qui en se veut pas contradictoire à la foi catholique, mais juste différente.

Ce film bouleverse la société catholico-intégriste (désolé pour la formulation barbare), et c'est là que la subversion apparente met en lumière le manque d'intelligence nécessaire à la lecture et la compréhension profonde de cette réécriture. Car croire n'est pas compliqué, la foi est quelque chose qui touche au domaine du sentiment, mais faire preuve de foi sans juger ce qu'il ne nous convient pas, ce qui nous semble faux, sans regarder dans le fond c'est un grave manque d'intelligence. Voilà une chose que révèle ce film. Maintenant passons au sujet du film, à son scénario et à l'impact de sa finesse.

Au niveau de la distribution c'est du bon. Willem Dafoe permet de personnifier le personnage de Jésus Christ par son physique atypique, et surtout son jeu au combien juste. Il transcende son rôle par son caractère, le rendant homme halluciné, mais aussi trop sensible, beaucoup trop, Jésus apparaissant vraiment comme il est de nature humaine, dans l'incarnation. Mais aussi de nature divine, par son inspiration et ses réalisations divines. Car au lieu de présenter un homme froid et distant, c'est un être de chaleur qui est ici dépeint. Il fait figure d'homme, c'est un pamphlet humaniste qui se tient là. Pourquoi? Car même si le Christ est de nature divine, il reste ouvert, par son humanité, à toutes les failles de l'homme. Il se retrouve donc tenté par beaucoup de choses et c'est ainsi que son cheminement spirituel et dramatique le porte vers une fin inexorable, malgré la version ambiguë de la fin. Je reviendrai sur la continuité de l'idée qui a un impact indéniable avec cette fin juste grandiose.

Je passerai sur les autres acteurs, mais quand même un mot pour l'excellent Harvey Keitel. Toujours là. Mais c'est une réelle valeur sure de par son niveau de jeu constamment juste, malgré une forte personnalité. Car Keitel ne rentre pas réellement dans ses rôles, il les créer autour de sa personnalité et de ce qu'on lui demande. Acteur fétiche de Scorsese, il collabore souvent avec lui, Mean Street, Taxi Driver pour ne citer qu'eux. Et c'est une sorte d'osmose qui s'est créé avec Harvey, acteur courage qui se donne pour le cinéma. Il sait de ce fait ce qu'il doit faire, et Scorsese sait ce qu'il peut faire. Cela permet du coup de rendre le rôle de Judas plus personnel et important, montrant aussi une faille des sociétés, mais aussi une force, l'esprit de rébellion et l'ambivalence latente du "mot juste". Dans cette interprétation Judas est un personnage rebelle, qui voit dans Jésus un moyen de porter la rébellion juive contre l'autorité de Rome. Finalement, au-delà de son impact biblique moins tranchant et plus sous-estimé (je ne me perdrai pas là-dessus, mais sachez qu'il n'est pas aussi secondaire que ça), ici il fait office de détonateur permanent, le mot, l'action qui délivre des moments de justesse sensible. C'est là que la personnalité d'Harvey Keitel est importante, donner de l'impact par intermittence en restant dans la justesse du rôle.

Quelques regrets avant de continuer. Le rôle de Marie Madeleine me semble quelque peu réduit, et dans la logique peu tranchant. Même si évidemment pas mal d'éléments subversifs viennent de sa "liaison" avec Jésus. En fait l'actrice ne me semble déjà pas à l'hauteur, puis le scénario ne la met pas réellement en valeur. Dommage parce qu'avec la qualité de direction de Scorsese ça aurait pu être bien plus profitable. Mais le reste de la distribution est au niveau de ce chef d'oeuvre que je qualifierai aisément de visionnaire.

Visionnaire? Suis-je fou? Ce film c'est une sorte d'affaire Rushdie II, le retour de la mésentente religieuse, voilà déjà ça c'est bouleverser une nouvelle fois les codes comme sait si bien le faire Scorsese. Il est visionnaire dans le sens scénaristique mais aussi esthétique car pour être crédible sur ce genre de sujet il faut être irréprochable sur le reste. Sur les acteurs je viens de le dire, les deux rôles principaux sont à la hauteur. Sur la réalisation c'est indéniable c'est un chef d'oeuvre, je vais paraître dithyrambique outre mesure, mais c'est comme ça que ce film mérite d'être jugé. Adapter un récit à des images, qui sont parfaitement en accord, avec, un certain classicisme dans la photographie, des plans d'une saisissante profondeur, qui plonge le spectateur dans un abîme, dans une sorte d'écho renvoyant le récit par des images sublimes. une reconstitution globale crédible. Je m'explique sur l'écho, en fait le récit est clair, ça pourrait faire cliché, comme certains l'ont dis dans leur critique, voir ridicule. Mais non la profondeur n'est pas une sorte de récit illuminé, mais plus une façon de porter intemporelement le message du livre, du Christ, par l'intemporalité de la beauté des images, imprimer dans une photo et un paysage grandissement c'est montrer la petitesse de l'homme face aux fondements de la nature et de la foi, mystère aussi grandiose et profond que l'illumination par des images d'une esthétique irréprochable. Un film visionnaire de par son essence et sa modernité.

Le sort de ce film a trop dépendu de son impression et fut décrier de tout côté, subversif pour les catholiques, récit politico-mystico-physico-philo-blablabla, ben c'est dommage de réduire à ça. Car finalement le film prend toute sa force dans une vision d'ensemble. Dans ces images, c'est un récit humain de la vie du Christ qui est fait. Dans le sens libérateur d'une certaine pression, les Evangiles deviennent ce qu'elles sont déjà, un récit humaniste. Et imager ainsi, et pas simplement historiquement ce qui n'aurait eu aucun intérêt, c'est donner une nouvelle dimension au Christ.

La musique est splendide, en accord avec la philosophie de Scorsese, qui recherche la sublimation, du méchant comme du gentil, par des grandes oeuvres de musique classique. Les images comme je l'ai dis sont splendides, d'une profondeur grandiose. Malgré une légèreté, elle pleine en otage notre rétine. De même la dureté des déserts montre la grandeur, fait souvent habiter le personnage de Jésus dans cette grandeur, comme une mise en valeur, il domine et rempli ce vide, le néant. Lors des passages autour du feu, ou par de faibles éclairages, il y a un travail pictural remarquable, comme un Georges de La Tour, le Nouveau-né ou Saint Joseph charpentier. Cette recherche des images dans une mise en scène grandiose, à hauteur de cette histoire de l'Humanité.

Je sais que ma critique ne va pas plaire, je sais qu'il y en a qui vont peut être croire que j'ai des idées catholiques intégristes, que j'évangélise, ou alors je semble anti-catho. Rien de cela, je ne m'épanche pas non plus sur un sujet mystique "ridicule". Juste c'est une vision sensible, aidé par la splendeur et le génie d'une réalisation exceptionnelle, qui nous permet juste de pouvoir recevoir un message de foi et d'amour, sans pour autant se sentir touché par la religion, juste par l'essence de l'humanité et c'est la que la subversion a son intérêt, ouvrir à tout le monde un message d'humanité.
TheDuke
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le 21 nov. 2013

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