Le Caire nid d'espions
Avec Boy from Heaven, qui aurait pu s'intituler Le Caire nid d'espions, Tarik Saleh passe manifestement un cap, et avec quel éclat. Le principal lieu de l'action n'est pas n'importe lequel :...
le 29 mai 2022
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Le film de l’égyptien Tarik Saleh est brillant, très complet. ‘La conspiration du Caire’ est une analyse fine de l’Egypte d’Al-Sissi, du rôle de la religion, et plus précisément de la place omniprésente de l’Islam dans la vie des égyptiens.
Adam, simple fils de pêcheur, intègre la prestigieuse université Al-Azhar du Caire, épicentre du pouvoir de l'Islam sunnite. Le jour de la rentrée, le Grand Imam à la tête de l'institution meurt soudainement. Adam se retrouve alors, à son insu, au cœur d'une lutte de pouvoir implacable entre les élites religieuse et politique du pays.
‘La conspiration du Caire’ est construit comme un film d’espionnage palpitant. Il y a les taupes, les meurtres, les indics, les rendez-vous mystérieux dans des cafés pour rendre compte. On s’infiltre dans des groupes suspects ou dans des bureaux, on planque des documents sous un matelas pour incriminer une personne gênante. C’est que derrière l’élection du nouvel imam est une histoire de pouvoir, d’influence. On souhaite pousser son candidat et pour cela, tous les coups son permis. Pour mieux signifier cette affaire d’espionnage, la bonne idée est d’avoir choisi un jeune agneau pur, innocent venant de son petit village de pêcheur et de lui faire côtoyer les loups contre son gré.
Il faut dire que la sert à merveille la mise en scène. Il a d’abord choisi un décor magnifique et particulièrement cinégénique : l’université d’Al-Azhar. Sa cour rectangulaire et ses colonnes, sa mosquée toute de rouge tapissée, ses couloires interminables. La géométrie a en effet un rôle important tant les cercles et les carrés semblent enfermer le personnage. Les angles de caméras sont en adéquations avec l’intrigue. Les contreplongées signifient la machination qui s’abat sur le personnage. Quant aux plans larges depuis le (très) haut minaret, il permet évidemment de susciter l’angoisse d’un drame qui arrivera peut-être.
Le film est un portrait du pouvoir en Egypte, ou plutôt de deux forces que se le dispute : le pouvoir politique et le pouvoir religieux. Difficile de faire la différence, tant les deux se ressemble et ont les mêmes méthodes et le même dessein : assoir leur influence sur l’université qui lutte pour son indépendance. Pourtant, les instances religieuses devront s’incliner contre le pouvoir politique plus nuisible. Pourtant, l’Islam n’a en Egypte rien à regretter tant elle garde une place plus que prédominante dans la vie des croyants. On passe son temps à prier dans la mosquée ou seul dans sa chambre. On ne jure que par Allah et chaque accomplissement est presque réalisé à son intention, dans l’espoir d’une place au paradis. Le cinéaste pointe d’ailleurs l’hypocrisie de ces deux pouvoirs. Les politiques utilisent des pions pour assurer leur dessein et s’en débarrassent dès qu’ils n’en n’ont plus besoin. Les religieux prêchent toute la journée, ce qui ne les empêchent d’avoir des enfants naturels avec de très jeune fille ou de comploter contre un imam concurrent.
Malgré le sujet édifiant et à thèse, Tarik Saleh ne fait pas dans le cynisme et ne tombent pas dans le tous pourri. Si la religion peut être utilisée à des fins politiques, il la montre également à l’état de foi pur. Car cet Adam est un vrai croyant, recherchant dans la foi une explication, un sens aux choses et notamment à la mort. Vers la fin du film, il y a un dialogue magnifique entre Adam et l’Imam aveugle (qui est paradoxalement le plus clairvoyant et honnête) sur le sens de la croyance face à la mort.
Les interprétations sont impeccables. Dans le rôle principal, Tawfeek Barhom a le physique de l’emploi. Il a à la fois un physique de grand cadet naïf et le visage dur comme éprouvé par la vie. Cette ambivalence physique va de paire avec la dichotomie du personnage, à la fois victime collatérale mais pas totalement angélique. Evoquons Farès Farès interprétant le colonel Ibrahim de la sureté d’État. Il tend un surprenant un curieux miroir au personnage d’Adam car il est en pleine dualité. Initialement manipulateur et un peu cynique, il finit par se prendre d’affection pour sa taupe.
Fin, précis, actuel et efficace, ‘La conspiration du Caire’ est d’une maestria remarquable. C’est ce qu’il y a de mieux à voir au cinéma en ce moment.
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Créée
le 2 déc. 2022
Critique lue 11 fois
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