« Le Caire Confidentiel » nous emmenait déjà dans les sombres recoins de la capitale égyptienne et Tarik Saleh revient logiquement avec un polar du même calibre, en compétition sur la Croisette. Sauf que ce n’est pas tout à fait le cas et qu’il a dû se rabattre sur Casablanca pour y explorer toute la corruption qui sévit dans le milieu politique et judiciaire. Avec ce nouveau long-métrage, il reste obsédé par ses racines égyptiennes et continue de vouloir confronter la réalité divine à celles des hommes au pouvoir. N’ayant pas d’autres choix que de délocaliser son tournage en Turquie, il joue néanmoins la carte de la transparence, lorsqu’il s’agit de capter l’Université Al-Azhar, berceau du sunnisme de l’Islam, courant religieux prédominant et basé au Caire. Le commentaire religieux qui en découle est finalement de nature politique, où l’on ne verra plus que des hommes, se livrer à une guerre fratricide, dans l’unique but de préserver les fondements de leur institution.


La chance d’y étudier est un privilège, rapidement désamorcé à travers le regard naïf d’Adam (Tawfeek Barhom), fils de pêcheur. Loin de sa famille et de tout soutien, la vie semble vouloir qu’il profite de sa bourse pour y forger des préceptes qu’il écoute dans un premier temps. Tout son parcours servira à le positionner dans un jeu dangereux, où le décès soudain du Grand Imam, figure emblématique du peuple musulman, débouche sur l’élection inévitable de son successeur. À partir de là, commence un thriller honnête, d’une efficacité narrative et relative à l’espionnage. Tout le monde finit donc par franchir l’enceinte sacrée des lieux pour y semer les graines de la fourberie, jusqu’à ce que l'Etat obtienne satisfaction. Ce procédé éclate ce petit monde, à l’image du monastère du « Nom de la Rose » de Umberto Eco. Les étudiants se déchirent des aveux ou autres motifs qui évoquent une corruption ambiante, où les paroles divines sont constamment détournées et abusées par le pouvoir des hommes.


Se croire au-dessus des lois, c’est déjà une facette qui revient périodiquement lorsqu’il s’agit d’autopsier une institution religieuse aussi fermée sur elle-même. Saleh parvient toutefois à mettre en valeur la tension que ce lieu saint dégage, en suggérant presque l’incarcération des étudiants, finalement emprisonnés par une autorité supérieure et étrangère à leur prière. Les dortoirs, la cour en damier et la cantine sont autant d’éléments qui témoigne d’un cercle vicieux, où l’ordre règne à coup de lame dans le dos, pour justifier les diverses trahisons que l’on découvre. Ce n’est qu’avec de la volonté et une maturité naissante qu’Adam redresse peu à peu la tête pour exister, non pas comme un intermédiaire tout désigné, mais bien comme un messager divin, dont les paroles sont finalement plus rusées et mesurées que la majorité de ses aînés. Ibrahim (Fares Fares), son principal interlocuteur et mentor du monde politique qui le soudoie, trouve ainsi un parfait mélange de sarcasme et de rigidité dans les missions qu’il lui confie.


Tous ceux qui viennent se greffer à l’aventure demeurent des archétypes, pas toujours introduits dans la nuance, mais « La Conspiration du Caire » (Boy From Heaven) aura le mérite d’être clair sur ce qu’il souhaite dénoncer et ce qu’il est en droit d’espérer pour la prospérité des croyances musulmanes. Le point de vue très démonstratif du cinéaste peut toutefois saborder quelques situations de tension, mais c’est lorsqu’il revient dans l’intimité de ses personnages, que les mots et la foi deviennent habilement les nouvelles armes de la paix sociale.

Cinememories
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le 27 oct. 2022

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