Les valeurs de la dissidence selon Zhang Yimou.


-Votre prouesse est inégalée.
-La décision de t'envoyer aux frontières était la bonne. Je viens aujourd'hui jusqu'à toi pour te rappeler tes erreurs passées. De ce que recèle l'univers, seul ce que je te donne est à toi. Le reste, tu ne dois pas le prendre par la force.
-Vos conseils sont ancrés dans mon coeur.
-Reviens au palais avec moi.



Le grand Zhang Yimou à qui l'on doit une filmographie impressionnante avec des oeuvres phares tels que Hero, Le Secret des poignards, Vivres!, Épouses et Concubines... signe avec La Cité interdite certainement son film le plus controversé. Je suppose qu'une partie des avis négatifs viennent de son mélange d'époques pour la conception historique de son cadre, ainsi que du contraste évident entre les bandes-annonces qui vendent un péplum d'action impressionnant avec de gigantesques batailles alors qu'il s'avère être avant tout un mélodrame politique familial.


Je n'irai pas par quatre chemin La Cité interdite est une de mes madeleines de Proust, une véritable épopée à la fois captivante, grandiose et tragique sur les méandres excessifs et tyranniques de l'autoritarisme de l'Empereur de Chine envers sa propre famille, plus précisément sa femme qu'il assujettit à coup de machination abjecte. Un film qui dérobe les coins les plus abjects de la gouvernance où les conspirations sournoises sont monnaie courante et où la morale s'avère constamment contestable. Un véritable déroulé de bonnes idées, où l'esthétique atteint l'absolue, la mise en scène la magnificence, la musique l'intensité du spectacle, les actions sublimées, des comédiens inspirés et un scénario plein de rebondissement délivrant une trame tout en nuances, fait de ce long métrage une oeuvre parfaitement calibrée.


Dès les premières minutes de la scène d'ouverture, on assiste à un parfait exemple de ce calibrage qui donne directement le ton. Cela commence par un chant lyrique brut, une sérénade de bambou contre bambou servant d'alarme à une armée de servante de se réveillée et de se préparer dans la hâte et toute dans une coordination millimétrée, pire qu'à l'armée. Les couleurs se mélangent à l'image, le son des éléments se fait très présent, la musique parade et la mise en scène joue sur la tension exercée par l'arrivée de l'Empereur.


Les décors sont fabuleux, le milieu principal se situe en Chine durant la dynastie Tang à l'an 928 dans le palais impérial connu pour sa taille gigantesque. Mesurant près de 750 mètres d'Est en Ouest et 960 mètres du Nord au Sud, la Cité Interdite couvre 720 000 mètres carrés, c'est le plus grand complexe palatial dans le monde ancien et le groupe architectural existant le plus complet de Chine. Zhang Yimou distille les magnificences qui arpente cette demeure avec une élaboration minutieuse où l'art chinois peut se dévoiler dans ses plus belles conceptions.


Les couleurs sont vives, très très vives avec un jaune vif d'oré mâtiné d'un violet qui pourrait en choquer plus d'un tant la luminosité se fais présente, certains pourraient se sentir agressés. Il est très important de notifier que tout est fait à la main ce qui impressionne, les CGI n'ont pas leurs places, cela offre plus de cachet à l'ensemble. Chaque couloir est magnifié par la couleur et la beauté du cadre. Les costumes sont de la même envergure, les armures de combat et autres parures sont superbes, les ornementations atteignent la perfection, surtout sur l'armure de l'Empereur.


Même les conceptions de thé, médicaments et autres préparations sont brillamment illustrés, rien n'est laissé au hasard.
La Cité interdite est pour ma part le film proposant les meilleurs décors et costumes.


La mise en scène de Zhang Yimou est expressive, immersive, viscérale et intime. À l'image de son cinéma, ce long métrage est une odelette à la contemplation et à la nonchalance. C’est clairement un film sensationnel qui fait de l'anti-sensationnel.


En termes visuels, le réalisateur nous dévoile une oeuvre énantiomorphe et perfectionniste avec pour champ arrière une chimérique utopie. En résumé, un travail de conception faramineux somatique et structuré ne laissant rien au hasard. Tout fait réel dans ce film jusqu'au plus banal bruitage ce qui offre une immersion efficace et cela se perçoit brillamment avec la caméra épaulée qui suit de très près les différents protagonistes dans les couloirs de la demeure.


La caméra s'avère comme étant une incarnation du spectateur pour nous mettre dans la peau des serviteurs contemplant d'un coin de l'oeil dans un silence total les différentes péripéties.


Toujours au niveau de l’immersion, Zhang Yimou utilise avec ingéniosité la cartographie des péripéties. Par exemple avec ces fameux couloirs que j'ai déjà cités avec lesquels il joue de la profondeur tout en gardant un sentiment d'enfermement, comme si on était enfermé dans un labyrinthe scintillant. Le jeu d'ombres, appuie chaque mouvement de caméra et vient contraster toute cette luminescence, une véritable peinture géante.


La mise en scène haute en lumière et en couleur appuyée par tous ses décors sont atrocement essentielle au film qui jouit d'une texture tragique et poétique folle appuyée par une belle palette d'ambiance colorée.


Le scénario est brillant, terriblement brillant, délivrant tour à tour des contextes toujours plus intenses et douloureux avec des rebondissements et des contre-rebondissements forts qui tiennent en haleine, jusqu'à nous choquer par moments. Concernant la construction du récit, l'histoire nous emmène dans une conspiration politique multiple où chacun orchestre un plan pour éliminer l'autre. Zhang laisse les complots et autres machineries rivales serpenter dans un mode glacial et lyrique, les comparses intermittents par des jeux de regards vipérins et médisant au grand jour et des lamentations bouleversantes dans l'ombre.


Plus l’intrigue progresse, plus on se rend compte que le sujet est plus nuancé qu'il y paraît, on constate rapidement que les véritables victimes sont finalement les enfants pris dans cette confrontation. Autre aspect du scénario maîtrisé, c’est son rythme. Je sais que deux heures de conspiration présentée comme ça pourrait en rebuter plus d'un, mais le montage est rondement mené agrémenté par des dialogues soignés ou chaque mot a son importance ce qui fait qu'on ne voit pas le temps passer.


De plus le final offre une leçon émotionnelle qui laboure le ventre, une conclusion forte qui moralement en dit beaucoup.


Finalement, le renversement comploté par l'impératrice, appuyé par son fils le prince Jai, est brutalement stoppé et elle est, bien entendu, châtiée par l'empereur, qui en définitive, dans toute sa cruauté, propose à son fils de le gracier à la seule condition qu'il remette lui-même et régulièrement à sa mère les breuvages médicamenteux empoisonnés (départ de ce conflit) qui la tueront petit à petit.
Le prince devant se choix se suicide laissant l'impératrice à sa folie. Une victoire accueillie par un sourire très amer de l'Empereur qui au travers de cette aberration perdra en plus ses deux autres fils, l'un étant assassiné et l'autre battu à mort ainsi que sa fille dont il ignorait l'existence. L'empereur en grand vainqueur se retrouve finalement seul, ce qui est également perçu comme une défaite, puisqu'il n'a plus d'héritier.


Le message dressé dans ce récit est un constat politique troublant où tout rebelle que vous êtes, vous êtes obligés d'abdiquer devant vos gouverneurs, acceptant ce que l'ont vous a octroyé et seulement cela, sans jamais en vouloir trop, sinon vous finirez abattu par leurs pouvoirs. En cela la citation que j'ai délivrée en début de mon avis va totalement dans ce sens, tout comme cette scène:
""La terrasse est ronde, la table carrée. Que signifie cela? Que le ciel rond et la terre carrée régissent les règles terrestres. Sous le cercle, dans le carré, chacun doit garder sa place. C'est la règle. Le roi, le père, les fils. Loyauté, piété, rituel, vertu. Les règles doivent être respectées.""


La Cité interdite n'est pas un film d'action à proprement parler, je tiens à rassurer sur le fait qu'il y a tout de même pas mal de ces scènes et toutes superbement orchestrées dans une bataille pour le moins impressionnante et déroutante. Pas de place à de superbes duels, tout est question de nombre, d'assaut ninja et de tactique militaire. Néanmoins, on a droit dès la scène d'ouverture du film au seul et superbe duel entre l'Empereur et son fils qui envoie du pâté. Pourtant, même si le manque de chorégraphie est à regretter, c'est dans ses séquences de masse que tout prend de l'ampleur.


Les batailles mettant en avant des milliers de comédiens sans faire appel à d'éventuels effets spéciaux pour grossir le nombre et cela se voient grandement!


Même si la bataille est très loin d'être la meilleure d'un point de vue cinématographique, et qu'elle puisse paraître courte et en manque de duel impressionnant le réalisme établi par toute cette populace frappe fort. Une séquence saisissante qui marque durablement l'esprit et force l'admiration.


Ajoutons également les musiques de Shigeru Umebayashi qui sont terriblement efficaces délivrant bon nombre de titre tous plus intéressants et sublime les uns des autres.


Pour ce qui est des performances des comédiens c'est un sans faute complet! Les acteurs Chinois dans ce genre de production surjouent souvent et exagèrent certains comportements, mais ici tout est dans la subtilité. Des acteurs hors pair pour une direction subtile, mais Gong Li et Chow Yun-Fat sont clairement les plus puissants. Chow Yun Fat marque de sa stature et de son esprit implacable nuancé par des brides d'amour précis. Il est superbe, charismatique et a le don d'un simple regard de vous foutre le frisson. Le costume d'Empereur Ping lui va à merveille.


L'envoûtante Gong Li sous les traits de l'impératrice Phoenix lui rend magnifiquement la réplique dans son rôle de reine forte voulant destituer son mari. Elle fait preuve de témérité, de courage et d'impétuosité.


CONCLUSION:


La Cité interdite est un mélodrame fort en teneur scénaristique délivrant l'une des plus belles fresques cinématographiques qu'il m'a été donné de voir. Un rendu techniquement parfait réalisé par un Zhang Yimou inspiré qui malheureusement n'aura pas la reconnaissance méritée auprès du public malgré un nombre de distinctions et de nominations importantes. Il aura surtout le défaut pour beaucoup de mondes de ne pas être simplement un film d'arts martiaux ce qui est vraiment fort dommage, car La Cité interdite est un film somptueux que je considère comme un véritable chef-d'oeuvre amenant la distribution, la texture et la technicité nécessaire à un spectacle de toute beauté et d'envergure.

B_Jérémy
10
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le 30 déc. 2018

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