"La favela était un purgatoire, c'est devenu un enfer."


Ce film je l'ai découvert il y a un bon bout de temps maintenant, par un heureux hasard, et des hasards comme ceux-ci j'en redemande. Mais au moment de commencer à écrire cette bafouille, je me posais cette question, comment retranscrire avec des mots la richesse de ce qui m'est montré à l'écran ? Car il s'agit là d'un de mes films préférés, comment t'en faire part à toi qui t'es égaré sur cette critique avec justesse ? Le déclic pour revoir se film et en parler fut de voir toutes ces caméras braqués sur Rio de Janeiro, donnant une image de carte postale pour la bonne image des jeux olympiques, balayant pour cette carte toute ces favelas, toute cette misère, toute cette violence, dont La cité de Dieu fait partie. Car La cité de Dieu est une adaptation d'un livre relatant de manière très proche de la réalité l'histoire de la favela du même nom, de sa création dans les années 60, jusqu'à la fin des années 70, de ses milices et leaders, des conflits l'ayant transformé en ce qu'elle est. Le tout renforçant la peinture sociale et politique de l'oeuvre, renforçant le réalisme du film.


Une des premières choses qui frappe dans ce film c'est la richesse de sa mise en scène et l'inventivité de sa narration. Le réalisateur, Fernando Meirelles, déborde d'idées de ce côté-là pour rendre chaque scène majeure du film aussi marquante que ne l'était la précédente et que ne le sera la suivante. Ces scènes te giflent par leurs puissances et t'immergent dans cette favela où d'habitude les caméras se détournent. Ici pas question de se détourner. Ici la caméra t'attrape, t'arrache de ton lieu de confort douillet où tu es tranquillement assis pour te plonger en plein cœur de cette favelas, en pleine crasse de cet enfer terrestre, là où misère et violence n'ont jamais fait qu'un avec quasiment tous ses habitants. Je n'en dis pas plus sur ces scènes, si tu as vu ce film, j'imagine que tu vois les scènes auxquelles je fais allusion, et si tu ne l'as pas encore vu, je ne voudrais pas te gâcher la surprise de ces gifles.
Ceci dit Fernando Meirelles ne tombe pas non plus dans le piège de la pleurniche facile, des grosses ficelles pour tirer des larmes. Fernando Meirelles ne fait pas non plus l'apologie de la violence de ce milieu, comme on a pu l'accuser de le faire. Il filme ce qui est, sans tricher, au plus proche de la réalité qu'il est possible de le faire au cinéma. Ainsi le style est quasi documentaire et la violence n'y est jamais agréable à regarder, jamais "cool". De plus il a très clairement un recul critique envers tout ses personnages, y compris envers le narrateur, qui est pourtant bien loin d'être le pire d'entre eux.
Le réalisateur ne montre pas non plus un univers caricatural où les personnages ne vivent aucun bon moment. La cité à beau être un enfer, il n'empêche qu'inévitablement les personnages finissent, un moment ou un autre, par avoir un peu de répit, par vivre de bons moments, des moments rares mais ils existent. Les souligner est important et les occulter serait une erreur.


Éclater la narration donne également un effet de film chorale, permettant de découvrir ainsi un panel très large de personnages très variés, tous humanisés, tous reconnaissables. Chaque personnage introduit au spectateur laisse des traces bien au delà de la rétine de ce dernier. Zé Pequeno, par exemple, pour ne citer que le plus évident. Dont quelques plans en contre plongée avec son arme à la main, sa frénésie meurtrière, sa soif de sang, son instinct de meurtrier et ce sourire carnassier suffisent à présenter un personnage qui n'a pas fini de te hanter. Malgré tout il se révèle assez humain d'une certaine manière, notamment dans sa relation avec son bras droit et meilleur ami Béné, contrebalançant ainsi avec le côté un peu caricatural et irréaliste que la description que j'ai fait plus haut pouvait donner. Ceci dit même si il est l'exemple le plus évident et le plus terrifiant, sache juste si tu me lis mais que tu ne l'as pas encore vu, que les personnages de ce film sont loin d'être tous aussi fêlés que Zé Pequenio, mais que pourtant parfois ils te hantent bien plus que ce dernier...


"Il y avait de plus en plus de candidats au suicide, la guerre servait d'excuse à tout."


Fernando Meirelles dépeint donc au travers de ce film une vision de cet environnement d'une profonde noirceur sans réellement de début de lumière. Le tout avec un recul envers les personnages, donnant au film une certaine ironie, comme un douloureux rire jaune amer face à ce favela qui broie impitoyablement tout ses membres, bon ou mauvais, où au final les seuls qui veulent s'en sortir sans côtoyer la violence de ce milieu apparaissent comme rêveur, comme candide.


Cette ironie doit être ce qui traduit le plus la noirceur de la vision du réalisateur. On le voit à la manière de la mort de Zé Pequenio qui glace les plexus, car au delà de sa violence, elle montre à quelle point cette favela n'est rien d'autre qu'un impitoyable cercle vicieux qui entraîne avec lui tous ceux qu'il peut. On le voit aussi à sa manière de montrer l'escalade de la violence, en présentant ces enfants soldat volontaires, assoiffé de meurtres, ne servant que de chair à canon dans un conflit qu'ils ne comprennent pas, pour des raisons bien dérisoires. On le voit à bien d'autres scènes également, mais le plus gros témoignage de cette ironie et noirceur inhérente à ce favela reste le narrateur. Ce dernier du nom de Buscapé est un des rares personnages qui refuse de participer à cette violence, qui cherche à fuir cette cité, qui rêve de devenir journaliste, mais qui ne finira par avoir une opportunité de se rapprocher de son rêve uniquement parce qu'il vit dans cette favela et qu'il a fait des photos à la gloire d'une des milices...


Au passage, le personnage de Buscapé est l'occasion pour le réalisateur de formuler à la fin de ce film une critique bien sombre et amère quant à la difficulté d'être intègre en tant que journaliste. En effet il nous montre le narrateur s'auto-censurant par peur de représailles de ceux qui finançaient une milice, et dont le représentant s'appelle d'ailleurs très ironiquement L'oncle Sam (si un tel nom lui a été choisi, à mon avis, c'est certainement pas un hasard).


Finalement je ne sais que faire comme conclusion adéquate à cette bafouille sur ce film que j'adore, et si tu ne l'a pas vu, que je t'enjoins, que je t'incite, voire même que je t'exhorte, (je vais un peu loin là c'est vrai, mais bon c'est pour ton bien) à regarder en espérant t'avoir convaincu au mieux. Au final avec un film comme celui-ci, sans concession, qui gifle à répétition le spectateur en le braquant avec autant justesse et autant de force sur cette réalité, avec de tels personnages que dire qu'ils sont simplement marquants serait un euphémisme de taille, la seule chose que je trouve à dire pour conclure, c'est que ce film n'est pas prêt de sortir de mon top 10. Il est parti pour y rester longtemps. Très longtemps. Un film qui mérite probablement mieux que ma pauvre petite bafouille et ma maladroite conclusion à celle-ci, seulement voilà, j'ai eu envie d'ouvrir mes tripes auxquelles ce film m'a tant pris pour les poser sur cette critique. Ça vaut ce que ça vaut.


"Je fume, je sniffe. J'ai tué, j'ai volé.
Je suis un homme."

Noe_G
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le 20 août 2016

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Noe_G

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