Selon Denys Arcand, la chute de l'empire américain intervient donc à peu près 33 ans après le début de son déclin. Bon, soyons clairs, cet opus n'a pas la puissance de feu du déclin. Ni le sarcasme aussi aiguisé. Denys a vieilli et nous a plutôt concocté là une sorte de conte moral, un peu philosophique sur les bords. Pour autant que je me souvienne, le déclin était plutôt une sorte de farce cynique et truculente, et dans lequel l'égoïsme, l'égocentrisme et l'épicurisme des personnages était sans doute annonciateur de la chute à venir. Attention, j'ai peut-être un peu déformé les choses : eh oui, je l'avais vu à sa sortie, à l'époque en 1986.


Mais foin de mes souvenirs d'ancien combattant, et venons en à l'actualité. La chute ne se présente guère comme le déclin. Comme je le disais plus haut, il s'agit d'une fable plutôt gentillette quoiqu'évidemment n'épargnant guère la société nord américaine. Fable, parce que le scénario, au demeurant assez bien fichu, est parfaitement invraisemblable. Fable morale, aussi, parce que visant à illustrer, jusqu'à l'absurde, l'emprise absolue et totale du pognon sur cette société. Au point qu'un docteur en philosophie en soit réduit, pour subsister, à exercer un emploi de livreur dans une boite de coursier, du genre de celles qui impose à ses employés de porter un uniforme de boy-scout (short et chemisette), qu'ils doivent d'ailleurs probablement payer eux-mêmes. Eh ouais, ils sont loin nos universitaires canadiens flamboyants des années 80 : même plus la peine de nos jours de chercher à dissimuler sa cupidité derrière un vernis intellectuel.


Il faut tout de même dire que dans l'ensemble, j'ai trouvé ce film plutôt drôle, mêlant avec bonheur comique de situation et quelques punchlines bien trouvées. Une belle galerie de personnages également, avec notamment un duo de flics impayable et un avocat fiscaliste aux faux airs de Trump. Et des clins d'œil aussi, en particulier à Pretty Woman bien sur. Mais ce n'est plus dans les bras d'un riche entrepreneur que la prostituée de luxe va trouver l'amour et la rédemption. Le riche entrepreneur, désormais il est passé du côté obscur et ne peut guère plus se poser en prince charmant.


Tout ça nous fait un film qui se permet en plus quelques échappées sur les injustices sociales et le sort des sans-logis à Montréal. Et dont je crois que le propos du réalisateur est de nous montrer à quel point son pays est gangréné par l'argent et la corruption au point que l'appât du gain a fait oublier à (presque) chacun toute décence et toute humanité. Une société qui va droit dans le mur, minée par la violence, tant physique que sociale. Sous cet angle, l'exercice est assez réussi. Mais ce n'est pas complétement sans espoir, puisque, comme tout conte qui se respecte ça finit par un happy end. Euh, je ne spoile vraiment pas là, car je vous jure qu'on le sent vraiment venir assez vite.


Enfin, il s'agit bien sur de l'empire américain. Rien à voir avec l'Europe, ni avec la France, hé, hé. Il est vrai que nous avons quelques années de retard sur les Etats-Unis. Mais il me trotte tout de même dans la tête que nos politiciens, nos médias et nos évadés fiscaux font depuis quelques années un gros effort pour combler ce retard.

Marcus31
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le 11 mars 2019

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