Certains films ne sont pas des classiques pour rien. De prime abord, la chevauchée fantastique – plus simplement « la diligence » dans le titre original – a les traits du western à la papa. Mais même avec les poncifs du beau cowboy droit dans ses bottes, de la prostituée au grand cœur, les grands espaces de Monument Valley et les fusillades épiques avec les (Amér)indiens menaçants, John Ford réussi une proposition subtile à partir d’éléments simplistes.
L’équipage de la diligence, dont le trajet est le fil conducteur de l’intrigue, se compose d’archétypes opposés ; la grande dame respectable et la prostituée chassée par les bonnes âmes d’une ligue de tempérance. Le banquier bien installé et bien bourgeois et le joueur invétéré. Le représentant en whisky, sobre et timoré, et l’exubérant docteur alcoolique. Le shérif et le hors-la-loi. Le scénario veut que ces passagers hétéroclites veuillent se rendre à la ville située au-delà d’un territoire menacé par les raids du terrible Geronimo. Mais le sel du film se situe ailleurs, là où Ford brouille la place des personnages dans le spectre des convenances. Les archétypes s’opposent en ce qu’ils se placent d’emblée dans ou en dehors des critères de respectabilité sociale, mondaine et puritaine. Les lignes se brouillent dès lors que les circonstances poussent à reconsidérer la légitimité morale de ces places, au travers de questions telles que le bien-fondé de la loi (celle des tribunaux et celle du Far West), le jugement des mœurs d’autrui ou l’adéquation entre noblesse de titre et noblesse de cœur. La forme est peut-être datée, mais le propos est intemporel. Comme la diatribe du banquier : « L’Amérique aux Américains, un homme d’affaire pour Président ! ».