La Chatte sur un toit brûlant par Le Blog Du Cinéma

Lorsqu’il se concrétise enfin en 1957, le projet d’adapter la pièce éponyme de Tennessee Williams a déjà quelques bâtons dans les roues. Le casting s’est éternisé à l’interprétation comme à la mise en scène et Elizabeth Taylor se sort douloureusement d’un veuvage extrêmement prématuré. Surtout, la censure empêche de traiter entièrement la question de l’homosexualité, pourtant essentielle dans l’œuvre originale. Brooks en tire un film qui peine à respirer, à faire circuler ses enjeux. La nature profondément subversive du personnage de Brick est verrouillée par les interdits d’Hollywood, si bien que Brooks déporte l’intrigue dans un conflit familial certes intéressant mais trop peu assumé.

Ainsi, sans se défaire pleinement du thème brûlant de l’homosexualité masculine, Brooks donne une importance bien plus grande à Burl Ives, patriarche de la famille, self-made-man bruyant et autoritaire. Pour sa fête d’anniversaire, alors que sa santé défaillante fait miroiter un héritage copieux, la descendance se livre à un jeu des plus sordides. D’un côté, Gooper, sa « pondeuse » et leur portée de garnements, ne cachent presque plus leur convoitise. De l’autre, Brick, le fils préféré s’enferme dans ses appartements sous le mauvais prétexte d’une jambe dans le plâtre, refuse d’adresser la parole à un père dont il ne s’est jamais senti aimé et ne partage même plus la couche de sa femme Maggie. À partir de ce point, Brooks court deux lièvres à la fois. Le fantôme de Skipper, ami/amant à l’implication mystérieuse, hante les disputes et brouille les pistes. Newman laisse volontiers transparaître un homosexuel refoulé, mais ne donne pas le relais à Liz Taylor, qui étouffe dans la peau d’une femme tantôt hystérique, tantôt sereine et même parfois bien intéressée – voir le coup de théâtre final. Avec les autres protagonistes, le mal-être de Brick devient soudain le fait de l’incommunication familiale et du manque d’amour paternel.

On reconnaîtra volontiers que les censeurs hollywoodiens verrouillent alors la possibilité de mener pleinement une réflexion sur l’homosexualité. Mais il faut y opposer deux choses : d’abord, l’histoire du cinéma est parsemée d’exemples de détournement de l’interdit. Ensuite, il y a ce choix crucial que Brooks ne fait pas vraiment, qui est d’assumer l’abandon de la thématique de la pièce au profit de cette chronique familiale, qui n’est certes pas dénuée d’intérêt, au contraire. Mais les deux pistes cohabitent difficilement et discordent particulièrement au niveau de Brick-Paul Newman, pourtant clé de voûte du système imaginé par Tennessee Williams. À l’image également de ce manque d’engagement dans le sujet, le personnage absolument effacé de la mère, témoin passif des comptes que l’on règle dans les couloirs de sa villa. L’équation se résout dans une martingale un peu trop simpliste, mise à plat père-fils où l’amour paternel jamais entrevu était finalement bien caché derrière des pratiques autocrates, et le problème de fond devient un problème de langage. Mise au point à la sauvette, réconciliation, et c’est comme un tiède vent de dénouement qui souffle sur tous les sacs de nœuds qui étranglaient l’intrigue. Le tour de passe-passe laisse un goût d’inachevé et le fantôme de Skipper n’a pas fini de rôder.

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Auteur : Wesley
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le 20 nov. 2012

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