Le sport au cinoche donne rarement des chefs-d'œuvre et ce n'est pas Slap Shot qui risque de changer la donne... Le problème récurrent de ce genre d'entreprise est de savoir comment filmer un sport collectif. Là où la pratique individuelle semble parfaitement s'adapter à l'art cinématographique, en nous offrant autant à voir (représentation plus limpide et esthétique) qu'à ressentir (l'intérêt pour un destin individuel facilite le principe d'identification), sa déclinaison en mode co s'avère bien souvent brouillonne et pose la question de l'angle abordé : réaliste ou parodique ? George Roy Hill, quant à lui, semble se poser moins de question et met le réalisme sur le même plan que la dérision. Pourquoi pas, vous me direz, en tout cas c'est ce qui donne à Slap Shot sa dimension unique, perdue quelque part entre le foutrement bancal et le férocement attachant.


Classique et sans surprise, l'intrigue nous expose le devenir d'une équipe semi-pro de Hockey qui doit enchaîner les résultats afin d'éviter la dissolution. Ce qui est moins classique, par contre, c'est la vision qui nous est faite de ce sport où tout semble excessif, caricatural et délirant. À commencer par les vedettes de l'histoire, les frères Hanson, dont leur représentation tient autant du véritable hockeyeur que du personnage cartoonesque : on a beau être attendri par leur quotidien fait de loose et de galère, bien loin de l'image bling-bling véhiculée par les stars du système, on ne peut que lever les yeux au ciel lorsque l'on découvre une pratique sportive qui consiste à mettre l'éthique dans le vestiaire et la crosse sur la trogne de l'adversaire. Les matchs se déroulent alors dans un grand n'importe quoi généralisé, où l'on compte davantage les coups de poing que les buts marqués et où la foule pousse des "hourra" à chaque nez explosé ou mâchoire fracturée. Du sang sur la glace et de la déprime en coulisses, voilà en quelque sorte le programme proposé par Slap Shot : un mélange des genres étonnant qui peut fonctionner, à condition de ne pas être trop regardant sur la qualité proposée.


Car, disons-le clairement, le film n'est pas d'une grande finesse et les motifs de rejet sont aussi nombreux que les infractions perpétrées par nos joyeux frangins : jeu d'acteur parfois approximatif, photographie douteuse, humour aussi élégant que les caleçons de Paul Newman, amalgame de réalisme et de dérision quelque peu chaotique... Mais ce qui demeure intéressant ici, c'est bien ce refus de la totale parodie afin d'adopter un ton profondément cynique.


La dimension surréaliste des matchs met bien en relief le cynisme d'un milieu où l'on se moque ouvertement des belles valeurs sportives du moment que les spectateurs afflux et que les caisses se remplissent. De la même façon, Slap Shot illustre avec une certaine impertinence la fameuse formule "panem et circenses" : du sang et du spectacle, voilà ce que l'on propose à la populace afin qu'elle oublie le glauque, le morose et les fermetures d'usines qui s'enchaînent.


À côté de cela, la vie en coulisses, loin des projecteurs, livre une vérité crue et émouvante, sans sombrer toutefois dans le pathétique. C'est la vie d'une équipe qui ressemble à celle des paumés ou des rejetés de la société, avec le moral dans les chaussettes, le chômage, les problèmes conjugaux, les déambulations nocturnes interminables et les errances cafardeuses dans les bars minables. Si la pratique sportive est sale, c'est parce que la vie l'est tout autant ! Une notion parfaitement intégrée par le personnage incarné par Paul Newman qui voit son avenir compromis par la crise sociale et la limite d'âge. Pour survivre dans une société qui ne respecte plus rien, il faut agir de la même façon et montrer les crocs : il ment, manipule, pousse ses ouailles au pire sur la glace afin de provoquer cette réussite qui lui échappe depuis si longtemps.


Même s'il n'est pas totalement abouti, Slap Shot vaut plus que le statut de farce vulgaire auquel on le réduit bien souvent, c'est un véritable drame social dont les problématiques perdurent encore aujourd'hui.


Procol-Harum
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le 24 janv. 2023

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