« Les gestes et les paroles ne peuvent pas former la substance d’un film...

« Les gestes et les paroles ne peuvent pas former la substance d’un film comme ils forment la substance d’une pièce de théâtre ». Issue de son Notes sur le Cinématographe, cette citation de Robert Bresson est une critique de cette forme de cinéma que redoutaient beaucoup de professionnels de ce milieu lors du passage au parlant : le théâtre photographié. Des films sans idée de mise en scène, avec des acteurs se contentant de réciter leurs dialogues de manière très approximative (et ce même si l’intonation ne marche pas, il y a chez certains acteurs une vraie faiblesse du regard qu’on ne retrouve, heureusement, pas chez Ardant et Auteuil mais qui fait tache chez Tillier par exemple), en somme un cinéma fainéant, et pauvre (ce qui est quand même un comble que ce film soit pauvre tant il pue la bourgeoisie). Dans le cas de La Belle Époque je ne m’attendais à pas grand-chose, dans le sens où les critiques que je suis n’ont globalement pas aimé le film, mais le concept m’intéressait et le casting aussi. Pourtant voilà que je me suis retrouvé devant tout ce qu’un film devrait ne pas faire sur, quasiment, tous ses aspects esthétiques.


Une gêne constante


Victor est un sexagénaire décalé du monde actuel et qui, suite à sa rupture avec sa femme, décide de replonger dans les années 1970, l’époque où les deux se sont connus, grâce à une attraction créée par Antoine, un entrepreneur ami du fils de Victor, où chacun peut replonger dans l’époque de son choix. Le concept est sympa n’est-ce pas ? Eh bien il semblerait que ce soit suffisant pour remporter un César du meilleur scénario original, car le reste n’est qu’une bouillie de bourgeoisie de gauche qui a des idées, étrangement, assez conservatrices. En effet, même si le film a l’air de vouloir communiquer une certaine satire de la société bourgeoise et réactionnaire, il le fait de manière si maladroite que son discours en est inversé, à moins que ce ne soit le but de Nicolas Bedos ? Car c’est bien beau de dire qu’on en a marre de faire des films autocentrés et qu’on écoute les critiques, mais si c'est pour se mettre dans la peau de ses personnages (surtout Antoine, joué par Guillaume Canet, même si j’ai trouvé que le fils avait un vrai air de Bedos aussi) alors ça ne sert à rien, c’est détourner le regard sur ce qu’on fait comme tout le monde détourne le regard de son présent dans ce film pour se sentir mieux dans un passé tellement idéalisé, un passé qui n’est que le prisme des clichés du présent et où une ligne de dialogue à la fin ne suffit pas à dire que tout n’était que de l’ironie, surtout quand ça vient d’une des personnes les plus aliénées par un système conservateur, à savoir le personnage de Marianne, interprété par Fanny Ardant (cela relève plus de l’incohérence scénaristique). Toute cette richesse en devient presque malsaine tant les personnages ne font que parler de ça, toutes les relations ne sont orchestrées que par des valeurs dénombrables, symbole d’amitiés bien superficielles, si l’on peut appeler cela des amitiés. Oui c’est ici qu’est pointée du doigt la relation entre Doria Tillier et Guillaume Canet se rapprochant plus d’une prostitution que d’un amour des plus ratés (en même temps cette même actrice n’était nulle autre que la femme de Nicolas Bedos au moment du tournage, les planètes s’alignent…).


Un supplice visuel


Seulement on le sait, dans les films la forme est très importante aussi, car elle peut délivrer un message à elle toute seule, si tant est que le fond ait un sens. Mais dans La Belle Époque on retrouve LE gros défaut des films avec beaucoup de budget mais pas beaucoup d’idées : l’enchaînement de coupes incessantes s’accordant à une histoire allant trop vite et donc ne prenant pas le temps de bien se détailler. Oui, le montage de ce film est horriblement mauvais. Au diable les correspondances entre Auteuil et Ardant, elles sont inutiles tant elles sont forcées et redondantes. Ce qui fait le charme de ces effets de montage, c’est aussi leur rareté, le fait de se dire que ce n’est pas gratuit et que c’est un moment suspendu dans le temps, alors que ces répétitions ne font qu’affirmer de plus en plus que le réalisateur ne veut pas se renouveler et veut rester dans un petit confort improductif. Beaucoup trop de scènes sont aussi gâchées par une surutilisation des coupes, brisant tout élan émotionnel. Un des meilleurs exemples est sans doute la scène du repas où Fanny Ardant est avec ses collègues et qu’elle se rend compte qu’elle ne se sent plus à sa place. Le découpage de cette séquence est tel qu’on est débordé par tous ces plans alors qu’il existe mille façons de mieux faire cette scène. Dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours (Cristian Mungiu, 2007) on a droit à une scène où une femme assiste contre son gré à un repas avec sa belle-famille alors que son amie est en train de se faire avorter au même moment et qu’elle devrait être à son chevet (on se situe dans la Roumanie de 1987, en proie à la dictature). La séquence ne comporte qu’un plan fixe où la femme est mise au milieu de toutes les discussions, se rendant de plus en plus compte de l’erreur qu’elle a commis en se rendant à ce repas. Ce n’est pas parce qu’on sort les artifices qu’on a un grand film, et ce film au budget plus de 10 fois inférieur à La Belle Époque en est une belle démonstration.


Il y a beaucoup de choses à critiquer sur ce long-métrage, car s’il n’était que mauvais on pourrait le qualifier de film « inutile » et passer à autre chose, mais de par son discours il en devient presque dangereux. Ce film ramène le cinéma français à un niveau zéro de créativité où seuls les champs contre champs comptent, et où chaque moment « fort » émotionnellement doit être désamorcé par une blague, car si tout est forcé, il n’y a pas de raisons pour que le sourire ne le soit pas. Finalement on se retrouve avec des costumes et des décors sympathiques et une bande-son non déplaisante (mention spéciale à J’ai dix ans d’Alain Souchon, qui malheureusement se retrouve dans une scène d’un classicisme des plus déconcertants), mais dont un morceau soi-disant original fait étrangement penser au thème principal de Little Miss Sunshine, composé par Devotchka, pourtant aucune trace d’inspiration parmi les compositeurs, sûrement une coïncidence… En somme, si vous voulez voir un film sur une personne en décalage avec son présent, passez votre chemin, d’autres le font bien mieux et de manière bien plus intelligente.


4 mois, 3 semaines, 2 jours : https://www.senscritique.com/film/4_mois_3_semaines_2_jours/428696


J'ai dix ans : https://www.youtube.com/watch?v=WjkVzYLAhEg&frags=pl%2Cwn


Bienvenue dans nos décors, la musique faisant étrangement penser au thème de Little Miss Sunshine : https://www.youtube.com/watch?v=ZaxetXPs5CQ&frags=pl%2Cwn


The Winner is, le thème de Little Miss Sunshine : https://www.youtube.com/watch?v=OGdxdb0af2M


Qui m'aime me suive !, film traitant d'une vieille personne en décalage avec son monde, avec Daniel Auteuil en acteur principal : https://www.senscritique.com/film/Qui_m_aime_me_suive/38671849

NocturneIndien
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le 6 juin 2020

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