Film sur l’écriture, la mise en scène et la manipulation, La Belle Époque est malin à plus d’un titre. Nicolas Bedos a par exemple eu la bonne idée de ne pas y jouer, conscient de la détestation épidermique dont il peut faire l’objet, préférant déguiser son personnage sous les traits d’un Guillaume Canet plus avenant, mais qui ne trompera personne dans son rôle de gaillard brillant, macho et bénéficiant de quelques coups d’avance.


Dans cette intrigue où une société propose à qui le souhaite une mise en scène d’un voyage dans le temps avec immersion dans des décors ultraréalistes, récit et figurants, les parallèles sont évidemment constants avec le contenant lui-même, et la mise en abyme pourrait être pesante, si elle n’était évacuée au profit d’autres pistes plus romanesques. La Belle Époque est surtout une romance qui joue sur plusieurs tableaux, qui, pris isolément, ne brillent ni par leur originalité, ni par leur qualité d’écriture. Le couple à bout de souffle Auteuil/Ardant s’embourbe dans les caricatures et la dichotomie vieux con technophobe contre carnassière capitaliste connectée, avec toutes les vannes on ne peut plus faciles et déjà éculées sur les portables ou les intelligences artificielles. Il faudrait d’ailleurs expliquer aux scénaristes (et humoristes) que l’obsolescence programmée de ces objets contamine les sketches qui les exploitent.


Du côté de la génération suivante, c’est l’amour vache à coup de clash permanents entre Canet et Tillier, Madame Bedos à la ville, une sorte de screwball dénuée de tendresse sous-entendue qui traduit probablement le regard du réalisateur sur le couple, indexant la parité sur le nombre d’aboiements dévolu à chacun, soulagés par quelques parenthèses coïtales.


Tableau peu reluisant, vous en conviendrez, mais qui semble fonctionner comme autant de handicaps que se donnerait le scénariste Bedos pour parvenir à faire émerger une possibilité de magie, voire de romantisme. Deux niveaux lui permettent d’accéder à cette élévation : le dispositif de son récit (Auteuil revivant donc son passé, dans un studio qui montre avec un émerveillement constant du réalisateur la magie du cinéma et de la mise en scène), mais aussi la manière de donner à voir les coulisses.


Si le récit général reste finalement plutôt convenu, les péripéties étant quelque peu mécaniques et les caricatures s’effritant pour faire surgir l’humanité qui satisfera le besoin général de gentillesse qu’on prête à l’audience, c’est dans le montage et la mise en scène que la virtuosité va malicieusement s’infiltrer. L’énergie qui solidarise les séquences, par des répliques naviguant d’une temporalité à l’autre, la fluidité avec laquelle il mêle les deux couples se croisant dans la reconstitution et ce qui se joue en coulisses par le biais des oreillettes occasionne un ballet d’une très belle maîtrise, où les histoires se superposent, les vitres sans tain dévoilent et les jeux de rôles balancent quelques vérités bien senties. Cette façon de revisiter Marivaux à qui on offrirait de nouvelles techniques pour la dissimulation et les masques, mais sur un canevas toujours identique (en gros, construire le faux pour accéder à la vérité des sentiments) est plutôt réjouissante et permet de mener le film à un niveau supérieur.


On pourra évidemment faire remarquer que cette virtuosité est presque une fin en soi, qui vise surtout à flatter les multiples ego de Nicolas Bedos, à la fois scénariste et metteur en scène ; mais il ne faut pas omettre que cette façon de dévoiler les coulisses fébriles de cette usine à rêve permet une complicité plus grande avec le spectateur, et un plaisir bien plus vif que la seule histoire d’un couple devant regarder dans le rétroviseur pour retrouver de quoi aller de l’avant.


(6.5/10)

Créée

le 7 nov. 2019

Critique lue 8.1K fois

91 j'aime

7 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 8.1K fois

91
7

D'autres avis sur La Belle Époque

La Belle Époque
EricDebarnot
7

Ready Player Two

Personnellement, je ne sais rien de Nicolas Bedos (fils de... ?), même si j'ai cru comprendre qu'il s'agit de quelqu'un qui n'a pas très bonne réputation. Pourtant, à voir son "La Belle Epoque", j'ai...

le 19 nov. 2019

88 j'aime

13

La Belle Époque
guyness
5

Docteurs Feelgood

Il est deux ou trois catégories de films qui semblent devoir souffrir de défauts d'écritures récurrents, et qui ont le don, au fil des années, de m'énerver de plus en plus. Parmi ces genres, le...

le 16 mars 2020

40 j'aime

16

La Belle Époque
Behind_the_Mask
8

Se souvenir des belles choses

Entre Nicolas Bedos et moi, le courant n'est jamais réellement passé. Si je l'avais trouvé pas mal dans des films comme Populaire ou Amour et Turbulences, où il ne faisait que l'acteur, sans s'être...

le 15 nov. 2019

37 j'aime

1

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

699 j'aime

49

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

614 j'aime

53