La Belle au bois dormant
6.5
La Belle au bois dormant

Long-métrage d'animation de Clyde Geronimi (1959)

Oyez, oyez, bonne gens, le royaume est en fête ! En effet, le roi Stéphane et sa femme viennent enfin d’avoir l’enfant qu’ils désiraient tant. Mais alors que le royaume en liesse se presse aux portes du château pour admirer la belle princesse Aurore, et que ses marraines les bonnes fées lui offrent des dons, voilà que la sinistre sorcière Maléfique vient troubler l’allégresse générale, jalouse de n’avoir pas été invitée. En punition, elle lance une malédiction sur Aurore : à l’âge de ses seize ans, la princesse se piquera le doigt à une quenouille et mourra. Pour conjurer le sortilège, les fées décident d’emmener Aurore vivre avec elle dans une chaumière isolée, dont elle ne sortira que seize ans passés. Mais on n’échappe pas aussi facilement à son destin, aussi sombre soit-il…


Parmi les grands mystères propres à notre monde contemporain, il faudrait tenter d’éclaircir celui-ci : comment une telle merveille cinématographique a-t-elle pu laisser de marbre le public américain des années 1950 ? Car La Belle au bois dormant est sans nul doute la suite spirituelle de l’incroyable film à succès Blanche-Neige et les sept nains, dont il exacerbe la qualité de manière brillante.
Paradoxalement, alors que le dessin animé de Clyde Geronimi, vétéran du studio, est l’incarnation même de tout ce qui fait la magie Disney, c’est pourtant loin du regard du grand maître de l’animation que se déroula la production de cette Belle au bois dormant. En effet, lancé à la suite du grand succès remporté par Cendrillon, à l’époque où le public redécouvrait la magie des contes de fées revus par le studio aux grandes oreilles, le film fut la grande victime du développement parallèle du parc Disneyland, auquel Walt Disney consacrait l’essentiel de son temps.
Pourtant, La Belle et la belle au bois dormant contient bien tous les ingrédients du parfait Disney, à commencer par une beauté visuelle époustouflante. Walt lui-même ayant exigé que le film soit le plus réaliste possible dans son esthétique, Eyvind Earle trouve un compromis étonnant et plutôt réussi entre la naïveté des enluminures médiévales (revendiquant Les Très Riches Heures du duc de Berry et l’art gothique comme influences majeures) et le réalisme soigné et torturé de la peinture allemande romantique (on pense également beaucoup à Caspar David Friedrich). Cela nous vaut des décors somptueux, l’excès de lignes droites dont pèche parfois la forêt étant compensé à merveille par des intérieurs d’une magnificence toute médiévale.
Au niveau des personnages, il est intéressant de voir à quel point le scénario se désintéresse de la princesse Aurore, qui fait presque davantage figure de McGuffin que de personnage à part entière, pour se concentrer sur les autres : le prince charmant, bien entendu, qui, pour la première fois, sort de l’anonymat, là où Blanche-Neige et Cendrillon refusaient un nom au leur, et acquiert un vrai caractère (sympathiquement mis en exergue avec celui de son cheval Samson). Cela ne l’empêche pas de répondre pour notre plus grand bonheur à tous les clichés du vaillant chevalier de conte de fées, puisque c’est également la première fois qu’un film d’animation Disney nous montre un prince affronter de grands dangers pour sauver sa promise. On pourrait également mentionner les deux rois, qui forment un duo d’autant plus savoureux qu’il n’envahit jamais le récit, se contentant de l’agrémenter de quelques rires bienvenus, mais les personnages les plus intéressants du film sont bien évidemment les deux véritables ennemis qui se livreront bataille : les trois fées Pâquerette et la sorcière Maléfique.
Le trio de fées fait sans nul doute partie des personnages les plus mémorables de la galerie pourtant très fournie des studios, tant leur animation toute en humour et en subtilité (superbe travail de Frank Thomas et Ollie Johnston) achève de leur donner le caractère que leur fournit le scénario, qui leur fait la part belle, plaçant les trois femmes au coeur de bon nombre de scènes hilarantes. Mais c’est bien évidemment la sorcière Maléfique qui capte le plus l’attention. Il faut dire que l’animateur Marc Davis y a mis tout son talent, créant sans nul doute le personnage le plus menaçant de toute la panoplie de méchants Disney. Puissante, constamment maîtresse d’elle-même mais également du destin du royaume, Maléfique glace le sang dans les veines à chacune de ses apparitions, grâce à un travail hallucinant sur les couleurs et sur les mouvements fantomatiques de sa silhouette vampirique. En outre – et c’est sans doute ce qui rend Maléfique aussi marquante – la composition de chaque plan apparaît le fruit d’une réflexion telle que le film porte à son sommet la dramatisation, tant esthétique que narrative, d’une intrigue aux enjeux clairs et tragiques.
Mais si cette dramatisation est à ce point réussie, c’est bien évidemment (et peut-être même en premier lieu) grâce à l’emploi très intelligent de la musique de Tchaïkovski par un George Bruns qu’on n’avait jamais connu aussi inspiré. La réorchestration minutieuse de l’ensemble et le choix constamment juste des extraits du ballent donnent au film un sens inédit du rythme et de la synchronisation dont peu – pour ne pas dire aucun – des classiques Disney n’avaient fait preuve jusque-là. De la majestueuse marche d’ouverture (chœur du baptême) aux délicates variations de la fée d’Argent (leitmotiv des trois fées) en passant par l’incontournable et envoûtante valse (le duo dans la forêt) et par l’extrême tension du pas de caractère le chat botté et la chatte blanche (la scène magistrale de la quenouille), toute la somptuosité de la partition de Tchaïkovski concourt à mener cette Belle au bois dormant au sommet des productions Disney d’où il sera bien difficile de la déloger.
Nous faisant passer par tout l’éventail des émotions possibles (au rire et aux larmes s’ajoute ici l’effroi et le stress, renouant ainsi avec les premiers classiques Disney), La Belle au bois dormant est donc bel et bien de l’étoffe dont on fait les chefs-d’œuvre authentiques, c’est-à-dire ceux qui marquent dès le plus jeune âge, et pour la vie entière. S’il fallait résumer toute la grandeur et la magie de l’esprit Disney en une seule œuvre, on ne voit guère quel film on pourrait mieux choisir que celui-là.

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le 7 nov. 2017

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Tonto

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