Pour Joel et Ethan Coen, le Western ne relève pas de la terre inexplorée. Ils avaient avec True Grit rendu un bel hommage au genre avec son duo improbable menant une difficile vengeance. Dans La Ballade de Buster Scruggs, les frères terribles du cinéma proposent un long-métrage découpé de façon originale en six chapitres. Des fables de longueurs différentes, qui forment un panel de personnages, de paysages et de situations impressionnant de par sa richesse.


Le projet initial prévoyait une mini-série de six épisodes. Pour des raisons jusqu'à présent assez floues, il se transforma en un film d'un peu plus de 2h. Projeté cette année à la Mostra de Venise où il remporta le prix du Meilleur Scénario, La Ballade de Buster Scruggs resta toutefois dans l'escarcelle de Netflix. La plateforme de streaming signe, peut-être, son plus gros coup concernant ses fameuses productions originales. En proposant en exclusivité un film de qualité, réalisé par deux grands noms du cinéma et interprété par une pléthore de grands acteurs (James Franco, Liam Neeson, Tom Waits ou encore Brendan Gleeson), Netflix nous propose un grand moment de spectacle dans son salon. La firme compte d'ailleurs persévérer dans cette voie avec par exemple la sortie prévue en 2019 du prochain film de Steven Soderbergh, The Laundromat où l'on retrouvera des acteurs de renom tels que Meryl Streep, Gary Oldman et Matthias Schoenaerts.


En continuant à se développer de la sorte en proposant un contenu intéressant, adoubé par de grands réalisateurs ou acteurs, la plateforme Netflix concurrencera de plus en plus le cinéma dans l'art du spectacle. A la manière d'un Uber avec les taxis ou d'un Airbnb avec l'hôtellerie, le monde du cinéma sera contraint de s'adapter à cette concurrence directe de notre télé. En espérant que le 7ème art en sorte grandi.


La diversité des sketchs de La Ballade de Buster Scruggs conduit à ce que chaque spectateur se découvre plus d'affinités avec tel ou tel segment. Pour ma part, All Gold Canyon sort du lot. Un chercheur d'or sans âge, interprété par Tom Waits, pénètre dans une vallée que les pas de l'homme n'avaient encore foulée. Il va méthodiquement creuser, creuser et encore creuser jusqu'à trouver son filon d'or. Le contraste, tout d'abord, entre la beauté et le calme de cette vallée et l'apparence de ce pionnier à la voix rocailleuse est saisissant. Puis, au fil de l'histoire, le personnage se fond dans le décor, ne faisant qu'un avec cette nature qu'il éventre à coups de pelle. Un fils de la montagne en somme, venu y assouvir son besoin de déterrer des pépites.


Les différentes histoires composent au final une fresque du genre. On y retrouve, côté paysage, les déserts arides avec ses canyons, les vallées verdoyantes surplombées de montagnes aux neiges éternelles ou les immenses prairies légèrement vallonnées s'étendant à perte de vue. Saloon, banque, diligence et caravane de pionniers se joignent aux figures emblématiques du Far West que sont les hors-la-loi, les chercheurs d'or, les indiens ou les chasseurs de primes. Les réalisateurs, à l'origine également des scénarios, ont pu y incorporer leurs nombreuses références, quelles soient cinématographiques ou bien littéraires. La qualité du format d'ouverture et de fin de chaque sketch est également à noter. La Ballade de Buster Scruggs est présentée sous la forme d'un livre lu avec une splendide illustration en prélude de chaque histoire. Une main, qui pourrait appartenir au spectateur car n'ayant pas de voix associée, tourne les pages, lançant et clôturant le sketch.


Les frères Coen mettent donc en scène de nombreuses facettes du Western à travers ce film à sketchs. Ils apportent ainsi une pierre de plus à l'un de leur édifice cinématographique, celui de conter l'Odyssée américaine. Beaucoup se prennent à rêver de revoir ces six histoires sous la forme initialement prévue de mini-série. J'avoue être dubitatif sur l'intérêt financier et artistique de la chose, mais qui sait...

Vincent-Ruozzi
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le 19 nov. 2018

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