L'Isolé
8.3
L'Isolé

Film de Frank Borzage (1929)

Borzage : un nom magique, qui pour moi évoque depuis L'Heure suprême la quintessence même du mélodrame, ces histoires fortes et naïves à la fois où le bien triomphe du mal, où le bonheur se fait jour sous le drame annoncé, où l'amour enfin, est toujours le plus fort devant la maladie ou la mort.


Alors comment ne pas aimer éperdument ce Lucky Star, cette bonne étoile qui s'ouvre sur des images noyées de brume, en appelant à une poésie teintée d'onirisme?
Une petite ferme misérable que n'aurait pas reniée Eugène Sue dans ses Mystères de Paris, une matrone peu amène, chignon et air revêche, veuve sans ressources régnant tant bien que mal sur quatre enfants en bas âge, et petite bonne femme en devenir, l'aînée, Mary, 18 ans, prête à tout pour gagner un sou quand elle part dans sa cariole vendre les maigres produits de la ferme au village.
Et c'est justement pour un sou que la friponne, prise sur le fait, reçoit la plus belle correction de sa vie, administrée, non par les mains sèches de sa mère mais par Tim, le beau réparateur de lignes électriques, grand gaillard à l'air angélique et au regard clair.
Mais la "gamine" se défend comme une diablesse, le mordant avec fureur, tandis qu'à l'horizon se profile l'ombre menaçante de la guerre.
On est en 1914, les hommes sont mobilisés et Tim part, bientôt dépêché en mission par le méchant de l'histoire, Wrenn, patron grossier et séducteur, joli-coeur ingrat et sans grâce.


On l'aura compris, cette fessée mémorable Mary ne peut l'oublier : troublée dans son corps et son âme, la jeune fille n'a de cesse de surveiller la petite maison de Tim désormais laissée à l'abandon, alors quand deux ans plus tard les volets sont ouverts, sa curiosité et son trouble ne connaissent pas de bornes.


Des images d'un charme intemporel et irrésistible : Mary découvre un Tim paralysé des deux jambes , devenu un pro du fauteuil roulant, virevoltant dans des pirouettes éblouissantes qui font s'émerveiller et rire aux éclats une jeune fille farouche aux faux airs de Piaf qui peu à peu s'attache et s'apprivoise.
Et la chenille se transforme en papillon : sous la crasse, le jeune homme dévoile la féminité d'une jeune souillon, lors d'une scène mémorable, où il entreprend de laver à grande eau la petite tignasse enmêlée, riant avec Mary de sa blondeur révélée, de la sensualité candide qu'elle lui offre, celle d'une vraie femme qu'il se prend à désirer et aimer.


Un couple d'exception, une belle alchimie entre Janet Gaynor, attendrissante comme jamais, et Charles Farrell, juvénile et tellement émouvant dans les regards et les sourires malicieux qu'il lui décoche.
Alors bien sûr des obstacles il faudra en surmonter : le désir de Wrenn qui convoite Mary, séduisant la mère pour mieux s'approprier la fille, son innocence et sa pureté, et surtout le handicap de Tim ne lui permettant pas de se mesurer à l'homme qui lui vole celle qu'il aime.
Mais l'amour fou comme toujours triomphe de tout, chez Borzage comme chez aucun autre, et qu'importe alors que le réalisme ne soit pas au rendez-vous : ce cinéma transporte, fait croire en l'espoir d'une vie meilleure et d'abord au bonheur.
Des plans sublimes de beauté lors d'une tempête de neige où la lumière, l'eau et le ciel semblent se répondre, cette neige qui



immobilise ceux qui marchent et fait marcher ceux qui sont immobilisés.


Créée

le 28 nov. 2012

Modifiée

le 28 nov. 2012

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Aurea

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