L'Isolé
8.3
L'Isolé

Film de Frank Borzage (1929)

Beauté des amants qui s'aiment

Lucky Star, L'isolé en français (mais restons-en au titre original, nettement mieux), c'est l'amour, le grand Amour, celui avec un grand A, celui qui fait qu'on peut crever que de toute façon ça changera rien puisque l'on s'aime, alors on vit, alors le reste, le dehors, le monde, la neige environnante tout autour, obstacle à la passion, tout ça ne change rien. Alors on essaye de hisser ses jambes mortes jusqu'au sol, de se maintenir à des béquilles et de marcher, car c'est la seule chose à faire.


Lucky Star, c'est le monde en noir et blanc d'une vie muette, de deux personnages qui s'aiment, comme partout, comme dans les contes, comme dans les rêves. L'une est une fille pauvre, belle, tragique, triste, aux cheveux qui s'envolent au dessus de sa tête comme quelque chose de beau. L'autre, un soldat en fauteuil roulant, jambes immobilisées, foutues, mortes, sans vie. Au sourire qui chavire, aux yeux qui brillent. La découverte d'un acteur, Charles Farrell, au charisme foudroyant. La découverte d'un cinéaste du muet, Frank Borzage, bouleversant.
Le dernier film du cinéaste est celui par lequel je commence, qui rentre tout entier dans chaque pores de peau, jusqu'à l'émotion qui chavire, la musique qui se noie dans le flot de beauté, les deux personnages emplis de justesse, de sincérité. Les expressions sans en faire trop, les mots qu'on lit sur les regards, absents des bouches qui remuent, mais on comprend. Universalité des langages. Moments rares, d'une subtilité exquise, d'une belle sensibilité, bouleversements qui se fracassent le temps d'un geste, d'un regard, d'une note qui illumine le silence des voix.
Ainsi, la simplicité est chose folle, grande, sensible : la jeune fille se fait laver les cheveux par le jeune homme, œufs sur la tête, encore et encore, jusqu’à créer une mousse qui shampouine et lave les beaux cheveux de la belle. Cet instant éphémère dit tout de la profonde beauté, poésie, simplicité d'une scène presque sans importance, presque banale, quotidienne. Ce sont parfois ces moments simples qui provoquent l'émotion, la profonde poésie du monde. Et ça continue de vriller le temps d'un film.
Celui qui à la fin se hisse et marche dans la neige, l'homme tragique, écroulé de désespoir dans le blanc de l'hiver, chose froide et inquiétante. C'est fracassant de beauté.
Cette unique scène, cet unique plan, où il est là en ombre, contrasté de noir, on ne voit que sa silhouette qui tente tant bien que mal d’arriver à lever ses jambes jusqu'aux béquilles. Cette image alors, fracassante de beauté. Seul dans l'obscurité, seul dans son ombre, invisible par sa silhouette en contre champs, il est accroupi et c'est magnifique. Magique. Fracassant de beauté, encore, le temps d'un film.

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le 7 juil. 2015

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Lunette

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