Après l’échec de l’Aurore, Murnau doit revoir ses ambitions à la baisse, et si City Girl est un film modeste, il n’en explore pas moins les mêmes thématiques que son illustre prédécesseur.


L’opposition entre la ville et la campagne est ici déplacée sur les origines opposées d’un couple en apprentissage. Naïf fils de paysan venu faire quelques affaires dans la cité, le protagoniste (Charles Farrell, grande figure du muet qu’on retrouvera dans tous les grands Borzage)y tombe sous le charme d’une serveuse lassée de sa vie laborieuse et la ramène en tant qu’épouse dans ses contrées agricoles.


La première partie, entièrement fondée sur le point de vue des personnages, donne à voir un décor ambivalent, fonctionnant sur le contrepoint : l’automatisation de la modernité (la trancheuse à pain, par exemple, opposée à la manière dont le père rompt à la main) vécu comme une aliénation par la demoiselle, et la profusion vue comme un émerveillement, notamment dans cette superbe vue sur le métro aérien depuis sa chambre d’hôtel.


La mobilité propre à Murnau est toujours de mise : zoom arrière, travelling dans les champs, rapprochement sur les comédiens pour en tirer de beaux portraits jalonnent le récit, qui se renouvelle en revanche dans une ambition plus documentaire sur la vie quotidienne des paysans, notamment dans les moissons.


L’autre intérêt réside dans la résistance de Murnau à passer au parlant, en dépit des pressions de la production : les intertitres se multiplient, alors qu’il est clair que l’image, toujours aussi maitrisée, se suffit à elle-même.


La seconde partie procède par chocs culturels, confrontant la citadine à la famille, et notamment un père rustre plus que méfiant à son égard. Sorte de prémices aux Moissons du Ciel, dans de très belles séquences nocturne ou de tempêtes sur les champs, le récit met en place un décor propice à exacerber les passions humaines, entre la bru humiliée et le fils passif n’osant défier l’autorité parentale, contraint à une émancipation qui se fera dans la douleur. La tournure prise par les événements est un peu excessive (tout comme l’est le jeu de Mary Duncan, très gestuel et théâtral) et le dénouement un brin forcé ; mais ce qui reste avec Murnau, comme toujours, transcende, et de loin, le récit : un champ, un visage, une embrasure suffisent chez lui à chanter la mélodie universelle des émotions humaines.


https://www.senscritique.com/liste/Cycle_Murnau/1821961

Créée

le 28 sept. 2017

Critique lue 619 fois

19 j'aime

3 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 619 fois

19
3

D'autres avis sur L'Intruse

L'Intruse
Pruneau
8

Les moissons du fiel

City Girl démontre par le sublime que les bouseux sont des dégénérés. Alors oui, c'est pas un scoop, mais c'est toujours bien de rappeler quelques vérités dans ce bas monde. Lecture toute subjective...

le 11 déc. 2010

48 j'aime

20

L'Intruse
Torpenn
9

Le Blé en herbe

Magnifique leçon de Murnau, une fois de plus, qui rend chaque plan presque inoubliable. Magnifiquement livré par Socinien, que je remercie au passage. La première partie à la ville est d'une grande...

le 2 août 2011

38 j'aime

55

L'Intruse
Sergent_Pepper
7

Champs blonds sous la pluie

Après l’échec de l’Aurore, Murnau doit revoir ses ambitions à la baisse, et si City Girl est un film modeste, il n’en explore pas moins les mêmes thématiques que son illustre prédécesseur...

le 28 sept. 2017

19 j'aime

3

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

699 j'aime

49

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53