J'aurais pu prendre la plume pour défendre mes films favoris du moment : entre autres les fulgurances de "EO" ou les performances de Virginie Efira chez Alice Winocour ("Revoir Paris") et surtout Rebecca Zlotowski ("Les Enfants des autres"), etc (je ne reviens pas sur "Reprise en main", dont le nombre de copies en circulation s'accroît, et c'est mérité), mais pour faire amende honorable et évoquer un film qui m'a désarçonné mais plutôt agréablement surpris, une fois franchie la ligne d'arrivée.
J'ai failli snober le dernier film réalisé par Louis Garrel, comme je l'avais fait pour son précédent film (cette histoire de gamins des beaux quartiers touchés de façon immatérialiste par la grâce écolo, c'est-à-dire une version de l'écologie qui ne dit rien ni des classes sociales ni des rapports Nord-Sud, ça ne me tentait pas et j'ai fait le cinoche buissonnier). Les précédents films de Louis Garrel (Petit tailleur, Les Deux amis, L'Homme fidèle) pouvaient avoir une petite élégance, mais très située sociologiquement et artistiquement, comme emprisonnée dans un certain héritage cinématographique et familial (mais en moins bien). Dans ce nouveau film, il n'y a plus de prison dorée, encore que cela se discute : chez Louis Garrel, on peut passer cinq ans en taule, et en sortir à peu près frais comme un gardon (ou disons comme Gabin lorsqu'il revisite son solfège chez Verneuil) !
Garrel se donne le rôle d'Abel, un jeune veuf catastrophé par le mariage de sa mère et d'un détenu qu'elle a rencontré dans un atelier théâtre en prison. Clémence, la collègue et meilleure amie d'Abel (elle partage le même deuil), plus délurée, semble vouloir l'aider à accepter la situation sans la subir... On a d'abord l'impression de regarder des personnages un peu désuets et archétypiques tirés d'un film populaire des années 1970. Je déteste l'expression "sortir de sa zone de confort", mais il y a quelque chose de ça : le comédien-réalisateur tente de retrouver une recette qui demande une touche de naïveté à laquelle sa cérébralité ultra-parisienne ne nous a pas habituée. Heureusement le film est garanti sans Léa Seydoux (traces inférieures à 1 %), petit à petit l'armure se fendille et on y croit davantage. Le choix des extraits musicaux surprend. Petit avertissement : la séance peut avoir des effets secondaires inattendus, comme avoir envie de réécouter Catherine Lara au premier degré et sans aucune honte (vous êtes prévenu.e.s). Le dernier tiers du film est jubilatoire, et arrive à lier ensemble et donner du relief aux éléments épars (plus ou moins réussis) semés jusque là. L'écriture (est-ce la patte de Tanguy Viel, qui a cosigné le scénario ?) et l'incarnation sont remarquables et récompensent notre patience. Sans rien révéler, disons qu'avec ce film, Louis Garrel semble délivrer un magnifique hommage au "mentir vrai", avec pour partenaires de jeu des orfèvres en la matière : Roschdy Zem, Noémie Merlant, et une formidable Anouk Grinberg qui, après "La nuit du 12", confirme son grand retour (Garrel lui offre le seul personnage du film sans faux semblants dans sa vie personnelle, même si elle seule est comédienne professionnelle dans l'histoire !).

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le 3 nov. 2022

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