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L'Île aux chiens par Cinémascarade Baroque

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Si l’on retrouve bien tous les ingrédients qui font le sel du cinéma de Wes Anderson, « L’île aux chiens » semble toutefois contenir un élément marquant : une certaine forme de rage. Effectivement, le film ne dévie jamais de la dimension tragique et dérangeante de son postulat de départ : raconter le calvaire d’une bande de chiens. Visuellement impressionnant, chargé de décors incroyablement travaillés au niveau des nuances de couleurs et des contrastes, les landes perdues de « l’île poubelle » feront penser à l’apocalypse de « Mad Max » de George Miller voire même du brûlot plus politique qu’est « New-York 97 » de John Carpenter. Surprenant ? Oui et en même temps l’implication émotionnelle est bien présente. Les chiens, avec des personnalités bien distinctes, sont les marginaux d’une société qui les a tour à tour exploités, aimés et/ou maltraités.

Chief est d’ailleurs le plus passionnant de tous, en plus d’être le plus émouvant. Anderson va au-delà de la confrontation homme/chien pour revenir à l’origine sauvage même de l’animal. Peut-on vraiment dompter/dresser/apprivoiser un animal ? A-t-il sa part de conscience ? De choix ? En tout cas Chief est un individu libre qui ne croit pas au maître. Il n’est ni un révolté ni un résigné, juste un être vivant et qui compte bien aller où il désire. Sa relation avec Atari n’en sera que plus décuplée car Chief choisira sa voie par amour mais surtout par conviction. Spots, finalement son alter égo plus optimiste, finira de tracer un miroir poignant de ce que l’on peut appeler une vie de chien. C’est peut-être bien l’Homme qui doit être dressé en fin de compte. Tout cela, Anderson le manie dans un récit fin qui trouve un équilibre judicieux entre humour (les bagarres dignes d’un cartoon) et ton plus tragique (les chiens victimes d’expérimentations).

On sait Wes Anderson être capable d’un certain sens du tragique ou du constat amère des ravages de l’Histoire (la fin de « The Grand Budapest Hotel » avec sa montée du nazisme), il ne s’est jamais montré aussi engagé dans la contestation politique ou sociale qu’avec « L’île aux chiens ». Les névroses de la société japonaise, la corruption des hommes politiques, l’endoctrinement irresponsable du peuple ou le dénie d’une politique environnementale ont une portée universelle. Le choix du Japon n’est pas étonnant car il est d’abord une vraie démarche cinéphile. Akira Kurosawa, immense cinéaste profondément humaniste, est cité à maintes reprises, notamment la musique des « Sept samouraïs ». Toujours une histoire de lutte, un petit nombre courageux devant faire face à une adversité énorme et disposant de moyens conséquents. Le génocide est même évoqué, rappelant à quel point l’Homme ne cesse d’oublier sa propre Histoire.

Si certains tics de narration ou de mise en scène freinent un peu parfois le souffle romanesque de l’œuvre (voix off trop présente, chapitrages et flash-backs cassant le rythme), cette aventure magnifiquement animée impressionne par ses nombreuses idées, ces parti-pris et ce souci d’éviter le mélodrame opportunisme. Anderson ne semble pas se répéter, il arrive encore une fois à se renouveler tout en sauvegardant ses thèmes fétiches. Le résultat n’est pas très loin d’un autre beau film d’animation, « The Plague dogs » de Martin Rosen (1982), racontant l’évasion de deux chiens d’un centre d’expérimentation. L’histoire finit même par épouser une portée mythologique, confirmant les chiens comme les vrais héros munis d’un instinct de survie que les hommes oublient par vanité ou déni de la vie hors société.

« L’île aux chiens » prouve encore une nouvelle fois le talent incontestable de Wes Anderson et qu’il est un des grands réalisateurs de sa génération. Le film est un récit émouvant, juste et militant. C’est également un vibrant hommage à la culture japonaise, à son héritage et la connexion qu’il peut y avoir en chacun de nous. Il s’adresse d’ailleurs plus aux adultes qu’aux enfants. Derrière la coquetterie, la cinéphilie, le côté chatoyant ou le sourire distingué des péripéties se cache un trouble plus profond, amère et triste dans le cinéma du réalisateur de « La famille Tenenbaum ».

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