Connu pour son style inimitable à base de plans symétriques et de couleurs chatoyantes, Wes Anderson est devenu, en quelques années, un incontournable du ciné indé US. Pourtant, certaines mauvaises langues se plaisaient à pointer du doigt le bonhomme en lui reprochant notamment de répéter un style relevant surtout d'un savoir-faire certes très maîtrisé mais visant avant tout à cacher une absence de fond. Que ces mauvaises langues se taisent à présent car "L'Île aux chiens" est une réussite incontestable, respectueuse de ce que construit Wes Anderson depuis une vingtaine d'années tout en injectant une bonne dose de nouveautés.
Le contexte, tout d'abord, qui prend place dans un Japon futuriste et dystopique, laisse de côté les univers colorés et le flegme des héros d'Anderson pour mieux imposer une nouvelle forme de narration. Ici, le film fonctionne comme un conte écolo pour enfants dont l'emballage serait teinté de couleurs ternes et déprimantes et où les niveaux de lecture se chevauchent entre récit d'aventure adolescent et vision cauchemardesque d'un futur totalitaire obscurantiste qui plonge la planète dans sa propre perte en pointant du doigt le coupable idéal. Le réalisateur de "The Grand Budapest Hotel" offre donc une oeuvre plus grand public tout en proposant un univers plus mature et désespérant où le gris et le rouge domine.
L'autre grande qualité du film est sa mise en scène. Il est intéressant de voir à quel point Anderson à affiné son style. D'une fluidité exemplaire, "L'Île aux chiens" est un exemple d'oeuvre sachant marier à merveille le son et l'image (la BO d'Alexandre Desplat n'y est pas pour rien). Jeux d'ombres ténébreux, maîtrise incontestable des différentes perspectives des plans, travail sur la luminosité incroyable, Wes Anderson a abattu un boulot monstrueux sur ce film, comme pour faire taire tous ceux qui lui reprochaient un certain maniérisme. Sa patte est encore là mais remiser de côté pour mieux servir un récit tout simplement passionnant de bout en bout. Citant aussi bien "1984" que le "Stalker" de Tarkovski, le film s'abreuve auprès des plus grands pour en offrir une version plus accessible sans jamais verser dans la facilité ou la référence facile. Et impossible de ne pas parler du casting de voix absolument hallucinant (Bill Murray, Jeff Goldblum, Bryan Cranston, Edward Norton, ...) qui ne relève, là aussi pas du simple artifice car il parvient à donner à chaque personnage une identité propre à travers un procédé de stop-motion qui a déjà fait ses preuves dans "Fantastic Mr. Fox" du même réalisateur.
Le dernier bébé de Wes Anderson augure du très bon pour la suite d'une carrière qui prend, depuis quelques films, son envol et qui a enfin toucher les cimes du génie.