L'Île aux chiens
7.7
L'Île aux chiens

Long-métrage d'animation de Wes Anderson (2018)

APRÈS SÉANCE



You know the rumour, right ?



Quelle rumeur ? Celle qui prétend que Wes Anderson n’aurait plus rien à prouver, et que tous ses films, passés et futurs, seraient des chefs d’œuvre incontestés et incontestables. Vous savez quoi, cette rumeur est vraie. Malheureusement. Il n’y avait qu’à voir la hype monumentale qui entourait L’île aux chiens des mois avant sa sortie, la masse de monde convaincue que cela serait un excellent film sans avoir vu la moindre image, et le battage médiatique faisant presque de l’ombre aux promos de Solo et d’Avengers 3… Comment sommes-nous arrivés à cette vénération aveugle ? En l’espace de neuf longs-métrages, Wes Anderson a indéniablement réussi à créer sa papatte (que je décrirai très subjectivement plus bas) mais aujourd’hui, avec L’île aux chiens, qu’en est-il ? Un chef d’œuvre de plus ? Ou simplement une auto-caricature, le banal respect d’un cahier des charges désormais établi couplé à une certaine paresse créative ?


Suite à une épidémie de grippe canine sans précédent, le maire Kobayashi de Megasaki, décrète la quarantaine de tous les chiens de la ville sur une île décharge. Pour légitimer cette mesure, le premier toutou déporté sera celui de la famille Kobayashi, Spots (doublé par Liev Schreiber). Le jeune Atari, neveu éloigné du maire Kobayashi, décide alors de se rendre sur l’île aux chiens pour rechercher son fidèle compagnon. Il va être aidé dans sa quête par une bande de cinq chiens du showbiz (Bryan Cranston, Edward Norton, Bill Murray, Jeff Goldblum et Bob Balaban).



SUR LE FOND : 6 étoiles



L’île aux chiens est une fable, légèrement dystopique, prétextant la recherche d’un toutou perdu pour traiter à la fois de l’isolement, de l’amitié et de la manipulation de masse. Malgré tout, l’histoire est loin de m’avoir emportée. L’intrigue est somme toute assez banale et linéaire. On recherche quelqu’un, on va à un point A où des informateurs nous invitent à aller à un point B. On va au point B. Fin de l’histoire. Lors de la quête, les personnages sont plus ou moins développés. Parmi les chiens par exemple, seuls Chief (Bryan Cranston), et dans une moindre mesure Rex (Edward Norton), ont le droit à un réel traitement. Les autres chiens sont limités à des rôles de sidekick plus que secondaires. Le « héros principal », Atari, manque cruellement de charisme et de profondeur, et dans certaines scènes, c’est franchement un petit con. Il y a de grandes chances pour que cela soit volontaire. Ça place naturellement le spectateur du côté des canidés, de la même manière lorsque les répliques des humains en japonais ne sont ni sous-titrées ni doublées à l’inverse des aboiements en anglais. Les héros sont clairement les chiens. Malheureusement, ce parti pris de Wes Anderson m’a éloigné d’Atari. Dès le départ, je pense que je m’en fichais un peu qu’il retrouve Spots ou non.


Du coup, l’intrigue principale ne m’a pas vraiment transportée. Je l’ai laissé défiler devant moi sans forcément y prendre part émotionnellement. Heureusement, le film tente d’aborder d’autres thèmes plutôt novateurs pour le coup par rapport à la filmo de Wes Anderson. Il s’agit en effet d’une œuvre très politique. Il est question de propagande, de manipulations médiatiques de masse, d’assassinats politiques, de conspirations, d’élaboration de fake news… Je ne sais si le réalisateur texan a voulu faire écho à la situation actuelle aux États-Unis mais le parallèle est facile. Pour ces raisons, L’île aux chiens n’est pas un film d’animation pour enfants, ni même familiale. Il s’agit d’une réelle satire des dérives médiatico-politiques actuelles. Est-ce intéressant ? Oui. Est-ce qu’un film qui dénonce est forcément un bon film ? Non. Clairement, j’ai trouvé que l’aspect politique de L’île aux chiens n’était pas super bien géré, on reste sur sa faim. Et d’ailleurs, en parlant de fin, je l’ai trouvée assez bâclée :


Les réelles motivations du maire Kobayashi ne sont pas vraiment exposées. Peur ou haine des chiens ? Si oui, pourquoi ? Vénération des chats ? Pas l’impression. Idem pour le personnage de Major Domo, qui est ce type ? Quelles sont ses revendications ? Et puis, à la fin du film, on a quand même un ancien maire repenti qui a assassiné une personne en toute impunité et un nouveau maire de 12 ans…


Les autres thématiques abordées dans L’île aux chiens sont à contrario hyper habituelles dans la filmographie de Wes Anderson : la famille et l’affiliation déjà traitée dans The grand Budapest Hôtel et The Darjeeling Limited avec plus ou moins de réussite (je vous renvoie à mon avis sur The Darjeeling Limited). Concernant les longs-métrages que je n’ai pas encore subi le visionnage, j’imagine qu’il s’agit également d’un thème récurrent. Et puis, l’amitié et sa place dans le parcours émancipateur des personnages. Et sur ce point, j’ai un peu de mal avec les conclusions du film :


La relation Atari/Chief est initiée sur la volonté d’Atari de subordonner le chien, de lui faire perdre son indépendance, sa liberté d’être stray (errant). La relation si proche Atari/Spots, fil conducteur du récit, prend fin. Et au générique final, sauf erreur de ma part, la bande des cinq chiens est séparée à cause des nouvelles fonctions de Chief.


Derniers petits points qui m’ont un peu dérangé mais je peux concevoir qu’il s’agit de surinterprétations de ma part : le fait que les chiennes soient assez absentes de l’intrigue mise à part Nutmeg (Scarlett Johansson) appelée bitch une bonne partie du film et la chienne (sans répliques et sans nom il me semble) ne servant qu’à porter les chiots de Spots. Et puis, le fait que Chief, le chien méchant, soit noir et qu’il apprenne à être gentil suite à un bain le rendant blanc…


Je cherche peut-être la petite bête mais comme dit le proverbe russe : « Même d’un bon chien, on attrape des puces ».



SUR LA FORME : 7 étoiles



C’est devenu presque cliché de décrire « le style de Wes Anderson », et les aficionados taxent volontiers celles et ceux qui s’y risquent d’analyses rapides et faciles ne percevant pas la subtilité du genre. Évidemment, je conçois bien que ce style, s’il existe (et je pense qu’il existe), ne se résume pas à des plans symétriques et colorés. Mais je crains qu’au fil des films, et des succès critiques qu’ils ont suscités, un cahier des charges s’est établi au sein duquel l’originalité a laissé sa place à l’efficacité. Et c’est à mon sens pour cette raison qu’aucun spectateur ne sera surpris, ni positivement ni négativement, par L’île aux chiens. Les fans de Wes Anderson adoreront et les plus réfractaires verront leur apathie persister. Cela peut sembler naturel, mais en réalité, ça ne l’est pas. Même avec d’autres réalisateurs ayant une griffe très reconnaissable, Tarantino par exemple, je n’ai pas un ressenti aussi homogène sur toute une filmographie. Qu’en est-il alors de L’île aux chiens ?


Selon un proverbe indien, « tout chien dans sa rue est un lion ». Wes Anderson l’a bien compris et s’obstine à manier les mêmes ficelles, perfectionnant le genre. Et devinez quoi ? Wes Anderson est devenu un véritable expert pour faire du Wes Anderson



  • Des plans majoritairement fixes et symétriques : √

  • L’utilisation du chapitrage : √

  • Des plans jouant sur la profondeur de champ : √

  • L’utilisation de couleurs pastel identifiant bien le film (ici gris/jaune/brun) : √

  • Une esthétique très léchée : √

  • Des personnages faisant souvent des regards caméra : √

  • Des travelings suivant les personnages ou des réactions en chaîne : √

  • La présence d’un nombre incalculable d’accessoires sur les scènes : √

  • Un humour absurde basé sur les répliques : √

  • Des personnages aussi expressifs que des pots de fleurs : √


Bien évidemment, tous les films où les acteurs regardent la caméra ne font pas partie du style Anderson et tous les films de Wes Anderson ne comportent pas forcément de regards-caméra (peut-être que si en fait…). Ce que je veux dire, c’est qu’on peut aisément identifier chaque coussinet de la patte Anderson et dégager un cahier des charges dont le strict respect assure l’engouement des groupies du réalisateur.


Alors oui c’est vrai, c’est efficace. Moi-même, après les bandes annonces, je ne pensais pas pouvoir supporter l’animation plus de vingt minutes. Et au final, je ne peux qu’avouer sa beauté. C’est super bien fait, hyper détaillé, on peut même suivre la vermine sur les corps des chiens. Et bluffé par le charme de ces images, à aucun moment on ne se rend compte du travail que cela représente : 500 marionnettes canines, 500 marionnettes humaines, chacune réalisée à cinq échelles différentes et représentant quatre mois de travail… C’est complétement fou, il faut le reconnaitre. Et il y a des idées d’animation qui m’ont vraiment plu comme la représentation cartoonesque des bagarres en gros nuage où seules des pattes et des têtes dépassent. Il y a également le fait de représenter les retransmissions TV en 2D qui fait sens et qui apporte une vraie singularité.



Hmm, salty... Rich flavor... Probably pretty good for my teeth. Yup, it's my new favorite food.



La musique est également un élément caractéristique du style Wes Anderson, et cela peut s’expliquer par la collaboration systématique avec Alexandre Desplat depuis 2010. Le double oscarisé (dont une fois pour un film de Wes Anderson) signe ici une BO austère majoritairement inspirée des tambours taiko que j’ai personnellement trouvée de plus en plus désagréable au fur et à mesure du film. Même la chanson (non originale) principale, I won’t hurt you de The west coast pop art experimental band ne m’a pas touchée outre mesure, même si je suis obligé de reconnaitre qu’elle reste en tête à la sortie de la salle.



♪ I've lost all of my pride ♫



♫ I've been to paradise and out the other side ♪



Bonus acteur : NON


Malus acteur : NON



NOTE TOTALE : 7 étoiles


Spockyface
7
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le 23 avr. 2018

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