C'est fou de voir que les films abordant la question du langage sans sombrer automatiquement dans la parodie ou la déconstruction (Godard cumule) sont rares. Ca l'est encore plus de voir un réalisateur populaire comme Wes Anderson cumuler intérêt, savoir et réussite autour du sujet. Dans l'île aux chiens, de son affiche à son générique, vous verrez la question du langage de long en large.
Dans ce film, le langage prend bien des formes. On omet par ses aspects négatifs : on a la rumeur, la propagande, le quiproquos, la barrière de la langue... Mais tous ces éléments sont systématiquement surpassés par une idée qui me semble développée par Anderson tout le long : il n’y a pas un seul langage universel mais des langages, pluriels. En ce sens, on peut déjà dire que le film est une ode à la diversité des échanges qui peuvent se faire par une langue, par un sifflement, par des écrits, des images, des formats… bref, des langages, riches et variés. Du coup, ici, les langages permettent à la fois d’individualiser les personnages et de les ouvrir aux autres.
C'est donc central : le langage est un outil d'échange.
Bon pour le moment, on a pas inventé grand chose. Mais donc, demandons nous pourquoi un tel attrait du langage de la part d’Anderson dans ce film ?
Facile. Anderson aime et soigne la forme. Et la forme, dans l'île aux chiens, est l'outil principal pour que les individus échangent entre eux.
En ce sens, le film d’Anderson lui-même exhibe sans cesse son langage. Il exhibe ses codes (à travers sa division en parties, l’exagération de certains codes du cinéma qui peuvent parfois tourner à la parodie respectueuse), il exhibe le langage écrit lui-même à travers les nombreux signes japonais qu’on retrouve systématiquement (d'ailleurs le fait d'avoir choisi le japonais n'est pas innocent vu le fonctionnement de cette langue au niveau sémantique), Il exhibe le langage oral à travers la traduction automatique des aboiements mais pas de la langue japonaise…
Bref, l’île aux chiens fait un travail passionnant sur le langage du cinéma. Et il est d’autant plus intéressant qu’en exhibant son langage, le film est paradoxalement d’autant plus immersif puisqu’il personnalise son univers à travers ça, et créé sa propre personnalité.
Anderson nous rappelle (en mode Metz) que le cinéma est un langage, et que le cinéma est fait par plusieurs gens pour plusieurs gens. Ainsi, le film répond à la question qu’il pose lui-même. Déjà, il remplace le « qui suis-je » par un « qui sommes-nous ? », question à la fois plus difficile et plus intéressante. Et le film propose : nous sommes nos échanges avec les autres, nous sommes nos différences additionnées. (On est pas si loin de Sartre et du "regard de l'autre" mais en plus positif).
Le message est donc assez classique : tolérance, amour d’autrui, etc. Mais le film a l’originalité de ne pas se concentrer sur le fond mais sur la forme que ce message prend : le langage. Et c'est pas étonnant de la part de Wes Anderson qui a toujours beaucoup soigné sa forme.
Soigné sa forme visuelle, mais aussi soigné ses dialogues, la façon de s'exprimer de ses personnages...
D'ailleurs, ses personnages ont toujours su se tenir dans sa filmographie. Une sorte de flegme qui produit néanmoins des réflexions absurdes ; on dirait une bande de Pierre Desproges en un peu plus sage et avec une fleur un peu moins grande au costume.
Au final, la conclusion de Wes Anderson est la même que le bon vieux Hugo : la forme est indissociable du fond. Une conclusion donc pas nouvelle mais qui, étrangement, a tendance à disparaitre bien vite des esprits.
Par cela, le message habituel du vivre-ensemble ne semble pas vain, on se prend à y croire et qu'on devrait se mettre à appliquer tout ça: quel que soit le langage qu'on utilise, sachons bien nous parler, ce sera le meilleur moyen de nous comprendre. Et si ça marche pas, bagarre, une oreille arrachée, et on fait la paix.