L'Île aux chiens
7.7
L'Île aux chiens

Long-métrage d'animation de Wes Anderson (2018)

C’est quoi un artiste?


Quand on a vu à la fois le Don Quichotte du bouillonnant Guilliam (enfin!) et le dernier Wes Anderson, on sort de deux univers dans lesquels on aime plonger.
Et pourtant difficile de savoir lequel des deux offre le voyage le plus dépaysant: celui qui fait intervenir de vrais acteurs dans de vrais décors mais dans un récit fantastique ou celui qui part de marionettes de chiens, dans un Japon fantaisiste, mais pétris de sentiments humains.


Au foutraque s’oppose le symétrisme millimétré de Wes Anderson: rien n’est là par hasard, tout est étudié, des couleurs aux compositions de décors en passant par la musique.


Une fois de plus Mister Anderson nous propose un voyage dans un univers hyper travaillé.
Comme à chaque fois, il nous invite à le suivre dans des aventures où le loufoque et la mélancolie se mêlent avec légèreté. Ou comment concilier les contraires: créer du naturel en partant de marionnettes, donner l’impression d’un univers foisonnant et délirant tout en contrôlant le moindre détail.
On est à 1000 lieues d’une oeuvre débraillée comme peut en produire un Terry Gilliam.


Cette fois-ci il nous l’excursion nous mène dans un Japon fictif bourré de références qui le font ressembler à celui qu’on s’imagine: légendes, sumos, percussions, sens de l’honneur, kanjis, estampes, musique et langue, tout est là pour nous immerger.


Aux manettes l’ami Wes oeuvre encore une fois en magicien: tout a l’air simple et pourtant tous les tours sont calculés, étudiés, millimétrés.
Difficile de ne pas être admiratif devant le spectacle qui nous est proposé. Comme pour les meilleurs tours de magie on préfère se laisser emporter que de passer son temps à chercher où est le truc.


L’histoire est simple et pourtant on aurait tort de s’en plaindre, parce que ce n’est pas la destination qui compte mais la façon dont on parcourt le chemin.
Le premier constat, c’est la patte visuelle. Les teintes sont froides, grises, tout se passe dans une décharge et pourtant on s’y sent bien parce que ce chaos est organisé. La mise en scène est toujours extrêmement soignée, on ne compte pas le nombre de plans symétriques, de ronds dessinés par les décors ou les personnages et rappelant sans cesse le drapeau du Japon. Sans compter la diversité et la richesse des décors, la profondeur ménagée dans certaines scènes qui nous fait oublier qu’on est dans un monde de maquettes et marionnettes.


S’ajoute à ça un travail sur l’animation prodigieux: pour que le film semble si fluide il a du falloir accumuler un nombre considérable de séquences.


Et puis il y a les thèmes: l’environnement et la condition animale, l’abandon, la quête d’amour, la révolte citoyenne, la manipulation des masses, l’enfance et l’amitié toujours et puis surtout le langage.
La trouvaille est toute bête et pourtant elle fonctionne pleinement: les seuls qu’on comprend sans interprète sont les chiens, et pour le reste il n’y a que quelques passages qui sont traduits, ceux dont on pourrait avoir besoin, rien de plus.
Ce qui reste en japonais se comprend aisément par le ton employé, on se retrouve dans la situation de l’animal qui pourrait interpréter les ordres de son maître en se fiant uniquement à leur intonation.


Les héros du film, ce sont les fameux chiens de l'île, on en croise beaucoup, mais un petit groupe est mis en avant: là aussi ils ont tous leur caractère, leur petite histoire, des comportements qui nous séduisent parce qu’ils sont éminemment humains, avec leurs faiblesses et leurs forces.
On oublie vite que ce sont des marionnettes, on doute même souvent de savoir quel procédé a pu être utilisé pour tel ou tel effet, et quand on se rappelle qu’on est en stop motion, on repense admiratif à la foule de décors qui ont défilé sous nos yeux et au travail colossal qui a rendu ce résultat possible.


On voyage et on rêve tout en traversant une Ile poubelle, on aime une histoire dans laquelle un gamin orphelin se dresse contre son seul parent, on navigue dans des tons gris, on a tous les ingrédients pour faire un univers triste et pourtant on ressort avec l’impression d’avoir assisté à un spectacle lumineux.
C’est le paradoxe des films de wes Anderson qui arrive toujours à nous convaincre: parce que tout est farfelu et en même temps en total maitrise et qu’il arrive à trouver l’équilibre exact.


Vivement le prochain.

iori
9
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le 30 mai 2018

Critique lue 212 fois

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iori

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