Porter tout le poids des maux de l'humanité, c'est autant du domaine de l'inconscience que de celui de l'impossible, car tout en ne parvenant pas à sauver l'autre, on se détruit soi-même.


Par le malaise qu'il provoque chez le spectateur, le baiser au lépreux (pour utiliser une métaphore religieuse !), dans l'antépénultième séquence, prouve qu'entre le récit édifiant de la vie des saints et la réalité, il y a un fossé immense. Le final (si on fait attention à ce qu'il y a au niveau des poignets !) est peut-être une manière symbolique de représenter l'enfermement psychologique dans lequel s'est perpétuellement condamné le protagoniste (mais bon, chacun sa théorie ; ce que j'apprécie chez Dumont, c'est la liberté d'interprétation qu'il laisse !). Et ce n'est pas une course effrénée jusqu'à épuisement sur un champ de mottes de terre ou un hurlement poussé lors du passage d'un train qui permettent d'évacuer cela.


Après La Vie de Jésus, on reste à Bailleul, la ville natale du réalisateur. On y suit le train-train d'un policier, dont le comportement simplet et l'obsession de soulager toutes les misères peuvent s'expliquer par le traumatisme de la mort accidentelle de sa femme et de son enfant quelques années plus tôt. La toile de fond est le meurtre et le viol d'une gamine. Toile de fond très discrète, pour ne pas dire effacée.


Généralement, dans les films policiers conventionnels, l'extrême majorité (pour ne pas dire l'entièreté !) du récit se concentre sur l'enquête, très peu sur le quotidien de celui qui y participe, donnant parfois l'impression que ce dernier ne prend même pas cinq minutes pour aller aux toilettes. Ici, au contraire, on suit les à-côtés. Pharaon fait du vélo, du jardinage, des promenades en bord de mer avec la voisine, dont il est amoureux, et le petit copain bourrin de cette dernière.


Tout ce qui concerne les investigations autour du crime n'apparaît que sporadiquement. Notre flic n'est lié qu'à quelques démarches pour retrouver l'auteur de l'homicide, comme un fonctionnaire faisant normalement le travail demandé par son supérieur, pas comme un être brillant réussissant seul à mener le tout du début jusqu'à la fin (comme c'est très souvent le cas au cinéma !). Dans cette optique, on ne sait même pas si les tâches accomplies par lui autour de cela ont la moindre utilité et comment le tueur d'enfant est finalement identifié. Ce qui est une vision authentique, pour le coup, de l'existence de ce type de caractère.


Emmanuel Schotté, par la bonhomie de son apparence ainsi que par la douceur qui se dégage de lui, achève de rendre cet humain attachant, malgré ses failles, ses défauts, l'embarras que certains de ses actes ou paroles font éprouver.


En faisant évoluer l'idée de Christ dans la banalité d'un cadre vériste (accentué par la crudité avec laquelle sont filmés le cadavre d'un enfant et les copulations de l'objet de la flamme de notre innocent avec son beauf de mec !), Bruno Dumont vise juste tout en livrant une œuvre marquante.

Plume231
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le 18 févr. 2022

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