L'Homme qui en savait trop version 1956 est n°5 dans mon Top Hitchcockien après Psychose, la Mort aux trousses ou Fenêtre sur cour... autant dire que je le place assez haut, et je ne sais par où commencer pour expliquer cette perfection du Maître. Pourtant je connais des inconditionnels d'Hitchcock comme moi qui ne considèrent pas ce film comme étant l'un de ses films majeurs, ils ont peut-être raison, j'ai peut-être tort, allez savoir ; en tout cas, c'est quand même un grand Hitchcock qui ici s'est presque amusé à organiser un jeu de piste, et il est difficile de ne pas se laisser emporter par ce cocktail habile de suspense et d'espionnage complotiste plein de péripéties et de coups de théâtre qui se dénoue grâce à un coup fatidique de cymbales.
En 1934, pendant sa période anglaise, Hitchcock tourne une première version de L'Homme qui en savait trop, dont Peter Lorre était la vedette et où le rôle du Français était tenu par Pierre Fresnay ; 22 ans plus tard, il décide d'en faire le remake, c'est un des rares cas où un cinéaste de renom a fait le remake d'un de ses propres films. Hitchcock en profite pour faire divers changements, en l'améliorant : d'abord il bénéficie du Technicolor, de la photo de Robert Burks et du montage de George Tommasini, ses collaborateurs habituels, puis c'est sa première collaboration avec le musicien Bernard Herrmann (qui joue lui-même le chef d'orchestre dans la scène de l'Albert Hall), mais surtout il remplace la Suisse par le Maroc, l'enfant kidnappé est un garçon (dans la version 34 c'était une fillette), et le Français est cette fois incarné par Daniel Gélin. Il dispose aussi d'un autre atout : la présence de James Stewart, qui avec Cary Grant, reste son acteur favori.
Hitchcock on le sait, n'aimait guère les enfants, il est donc amusant de le voir dépeindre ici un garçon insupportable, il a toujours su se venger par oeuvre interposée de certains détails qui l'agaçaient ; dans sa série TV Alfred Hitchcock présente, il se moquait d'une façon subtile des commanditaires des publicités qui la coupaient. Mais la différence aussi avec la version 34, c'est que Hitchcock donne à ce remake des allures de comédie, c'est perceptible dans la façon dont James Stewart traite les invités qui l'attendent une fois à Londres, et aussi dans certaines de ses attitudes au restaurant à Marrakech, de même que Doris Day fait des efforts pour effacer son côté aseptisé, je crois que c'était un choix d'Hitchcock, mais ni lui ni la Paramount n'ont eu à s'en plaindre, elle a livré un portrait de mère angoissée et émouvante crédible, de même que son talent de chanteuse sert parfaitement la séquence finale.
A part ces quelques changements, l'intrigue reste fidèle à la version anglaise, Hitchcock parvient à rendre éblouissant ce film grâce à sa mise en scène diabolique, en plongeant un paisible couple d'Américains moyens dans un univers hostile qui n'est pas le leur et dont la plupart des éléments leur échappent, Londres devient une ville menaçante où rôde le crime. Le summum est atteint lors de cette scène à l'Albert Hall, remarquable moment de suspense dont la construction et la montée dramatique sont un modèle du genre. Tournée sur les lieux mêmes, avec une foule de figurants, cette séquence repose entièrement sur l'orchestration de Bernard Herrmann ; pendant de longues minutes, on n'entend plus que la musique, avec un travail de montage sur les différents personnages concernés, on attend la note cruciale et le coup de cymbales, notre attention est alors mêlée à un sentiment d'impuissance parce que l'on souhaite que la musique ne s'arrête pas et que notre anxiété se relâche enfin, Hitchcock encore une fois, manipule les émotions du spectateur, comme il le fit et le fera souvent.
Je crois que Hitchcock a dû faire des concessions à la Paramount qui souhaitait sans aucun doute que le film soit tout public, d'où ce côté parfois superficiel que j'ai décelé chez les détracteurs de ce film, ainsi que le reproche de l'aspect comédie que j'ai déjà évoqué. Quoi qu'il en soit, c'est un film que j'apprécie particulièrement pour sa construction dramatique et son suspense bourré de fausses pistes et d'astuces scénaristiques, le Maître nous fait manger dans sa main avec une telle adresse qu'on en redemande.

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le 20 sept. 2019

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Ugly

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