Difficile d’embrasser en quelques lignes l’ampleur émotionnelle, la force poétique, la beauté du verbe ou encore la recherche esthétique de la mise en scène. S’il n’était une insistance mal mesurée sur certains thèmes, comme sur la BO (par ailleurs magnifique) par exemple, ce film mériterait bien la note la plus haute.
La relation nouée entre le garçon et son protecteur passager, la complicité qui les lie, la pureté de leur amitié, la sincérité des sentiments, la fraîcheur du regard d’enfant étalée sur son visage invariablement sale et qui habite pour mieux les éclairer ces lieux sombres, brumeux, boueux, chaotiques où la mort rôde et s’immisce : hymne à l’humanité, à la splendeur fraternelle – et pour moi, un souvenir évident des Planches courbes d’Yves Bonnefoy (l’un des plus grands poètes du vingtième siècle) où un enfant sans nom ni parents ni maison dialogue près d’une barque avec un passeur, lui demandant d’être son père avant de quitter la rive avec lui.
Ces deux improbables amis partagent, outre la solitude et l’abandon, la proximité avec la frontière : chez le plus ancien, dont on nous raconte les dernières 24h, il s’agit du lieu incertain où il erre et qui le sépare de l’espace encore plus fuyant du métaphysique ; chez l’enfant, réfugié albanais, la recherche est plus physique, elle concerne, à l’image de l’enfant des Planches courbes, une maison, un lieu où habiter, une famille qui l’adopterait. Compagnes de route inséparables, leur rencontre écrit un itinéraire commun, un cheminement non seulement spatial, mais aussi philosophique, car les deux sont confrontés à la question de la Mort ; de plus, chez le plus vieux, à la plus grande richesse d’expériences de vie, il s’accompagne d’une poursuite contre le temps perdu.
Cette déambulation dans la mémoire est magnifiquement mise en scène par des transitions fluides, gracieuses, claires comme le bleu de la mer ou celui du ciel. Les plans séquences, qui ne veulent pas tout découvrir trop vite, prenant le temps de nous révéler l’image pour mieux la contempler, magnifient le mouvement des personnages. Le travail esthétique du cinéaste donne lieu à des scènes d’une rare beauté : bien sûr celle de la frontière brumeuse, de ce grillage où flottent des ombres sans nom qui semblent se mouvoir au-delà du sensible ; mais encore la rencontre avec le poète au charme troublant, acheteur de mots et magicien du verbe ; ou bien cette superbe trouvaille du mariage que le plan séquence suit, scène vibrante, pleine de virtuosité ; ou enfin la mort de l’ami de l’enfant dans ce bâtiment désaffecté.
Ne pas se laisser influencer par certains soi-disant pontes du site SC, ayant attribué des notes injustes, passablement passés à côté de ce chef d’œuvre ayant pourtant fortement séduit Scorsese lui-même à Cannes, est votre devoir.