Ana et le Moi.
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El espíritu de la colmena explore, au moyen du réalisme magique, le traumatisme du franquisme à l’échelle d’un village castillan, à l’échelle d’une famille désunie dont les adultes et les enfants vivent séparés tels des spectres engagés dans la répétition, jour après jour, des mêmes tâches ; en cela, il emprunte aux genres de la chronique sociale et du conte pour donner à voir et à vivre le point de vue d’une petite fille dont l’acclimatation au régime politique prend la forme d’une initiation à la mort : Ana ne comprend pas pourquoi le monstre de Frankenstein a ôté la vie à l’enfant, et pourquoi il la perd à son tour, elle écoute l’arrivée du train sur la voie ferrée jusqu’au danger signalée par la sirène, elle est fascinée par un champignon vénéneux que son père lui interdit pourtant de consommer, elle ne sait comment réagir devant sa sœur gisant sur le sol de sa chambre, elle tend une pomme au soldat républicain caché dans la grange.
Son récit de perte d’innocence se construit au miroir de celui de sa mère, désolée par une correspondance amoureuse qui restera sans réponse, que le montage rapproche habilement : plusieurs portraits se brossent en même temps, pour mieux représenter la solitude profonde de la femme pendant la guerre et l’omniprésence des fantômes, qu’il s’agisse de ceux qu’on a perdus, des projections de cinéma organisées dans la salle municipale ou des esprits qui sortent la nuit et qui parfois se déguisent en humains. Un plan, magnifique au demeurant, conduit Ana à poser le pied dans une trace de pas bien plus grande – celle du spectre ? – comme si elle interrogeait ses perspectives d’avenir, qui restent de l’ordre de la fiction pure. La photographique somptueuse de Luis Cuadrado (chef opérateur de Carlos Saura entre 1966 et 1973) restitue le sentiment complexe de vide lié à l’espace et d’enchantement lié à l’enfance : la grande abandonnée est filmée comme une maison hantée où les sœurs viennent s’amuser et chercher l’esprit, le puits attenant semble doté de pouvoirs magiques, etc.
Victor Erice signe une œuvre forte et mystérieuse, dont l’intelligence tient essentiellement à son esthétique du détour et de la suggestion : en dire le moins possible, dresser un réquisitoire contre le franquisme par métaphores interposées tel un peintre qui, par petites touches successives qui doivent être vues ensemble avec distance, restitue les mouvements contraires d’un paysage tourmenté.
Créée
le 31 mai 2023
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