L’Énigme de Kasper Hauser est en réalité l’histoire de deux mystères. Le premier, celui du titre, ce mythe Hauser, enfant sauvage apparu par hasard au XIXe siècle, et pour lequel bon nombre d’historiens y sont allé de leur propre théorie quant au secret de ses origines. Le deuxième mystère s’est fait en coulisse : où donc Herzog, en grand chasseur d’êtres humains atypiques, est allé chercher ce fascinant Bruno S. ? Acteur principal du film et total inconnu dont il s’agira d’un des deux seuls métrages (le second deux ans plus tard, La Ballade de Bruno, également par Herzog), il hante L’Énigme de Kasper Hauser de sa présence insouciante, presque innocente.


Quand on en apprend davantage sur sa vie, Bruno S. fascine encore plus : son passage en hôpital psychiatrique, son enfance violente, sa surdité passagère… et sa pratique du cor, comme un astérisque absurde et l’aboutissement anti-spectaculaire d’un destin visiblement douloureux, en marge de la société, à l’écart du tumulte qui l’aura fait tant souffrir. C’est évidemment dans ce passé tortueux que Werner Herzog s’est projeté pour aller capter cette aura singulière, foncièrement cinématographique, ou en tout cas herzoguienne. Il fait de Bruno un véritable reflet d’Hauser, adapte les deux figures l’une à l’autre sans s’inquiéter de la réalité historique : de la même façon que son Aguirre avait quelque chose de Kinski, son Kasper Hauser a quelque chose de Bruno.
C’est en rendant floue cette frontière entre fiction et réalité que L’Énigme de Kasper Hauser se vêtit d’une douceur enveloppante : récit d’un rejet, d’une incompréhension, il est surtout le portrait d’un anormal. Le monde que l’on observe, situé quelque part entre notre perception commune et celle, altérée, de Kasper, est d’un romantisme à la fois baroque et paisible, conflictuel et harmonieux. L’inconnu et la différence effraient ; hors Kasper ce sont les deux à la fois.


Là où Herzog intervient, dans cette écriture morcelée de l’inadaptation au monde, c’est en retournant l’opposition : le point de vue, celui de ces héros extra-terrestres, s’impose à l’œuvre, à son imaginaire. Le conflit s’opère alors, non pas au sein du film, mais avec le propre regard du spectateur – unique, lui aussi, mais socialisé. C’est au travers de cette nuance primordiale que son cinéma devient une nécessité : faire le récit de ceux qui ne peuvent pas le faire, trouver dans chaque marginalité les dissensions qui la rendront universelle. L’Énigme de Kasper Hauser, chef d’œuvre indispensable de son réalisateur, préfère le sensoriel au didactique – il tente d’exprimer, dans un langage incertain comme celui de Kasper, ce que ça fait d’être seul au milieu d’un monde de fous.

Vivienn
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le 22 juin 2020

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