L'Avventura, film de 1960, réalisé par Michelangelo Antonioni

résumé: Anna part en bateau avec Claudia sa meilleure amie et Sandro, son amant, pour faire une petite croisière privée en méditerranée. Lors d'un arrêt sur l'île volcanique de Lisca Bianca, après une petite dispute avec Sandro, Anna se met un peu à l'écart du groupe puis disparaît mystérieusement. Sandro et Claudia commencent donc des recherches pour la retrouver, mais assez rapidement ils tombent amoureux l'un de l'autre. Anna finit alors par ne devenir pour eux qu'un lointain souvenir.

critique:
Le film débute comme un film policier. De jeunes gens partent faire une croisière en mer Méditerranée, mais au cours d'une escale, Anna, dont l'amour pour Sandro bat de l'aile, disparaît mystérieusement, sans laisser la moindre trace. On pourrait donc s'attendre, avec la disparition en début de film de celle qui était présentée comme l'héroïne, à un "Psychose" bis, et pourtant, les deux films n'ont absolument rien à voir. En effet, dans le film de Alfred Hitchcock (sortit en novembre 1960, donc à peine deux mois après "L'Avventura"), même si l'héroïne meurt violemment dès les premières minutes du film, elle reste tout du long au sein de l'intrigue, et sa présence continue de peser sur les spectateurs mais aussi sur les personnages et sur l'intrigue. Alors que dans "L'Avventura", passées les premières inquiétudes de ses proches et les premières recherches sur l'île, Anna (la disparue) est vite oubliée à la fois par les personnages qui continuent leurs recherchent sans trop y croire et surtout en finissant par ne plus vouloir son retour, mais aussi par le réalisateur qui décentralise son intrigue en laissant de côté l'enquête policière (qui aurait-été de rigueur, voir "Psychose") et en se concentrant sur l'idylle naissante et se confirmant entre Claudia et Sandro. Mais le spectateur, lui, n'oublie pas Anna, et espère jusqu'à la dernière minute que les deux "nouveaux protagonistes" finiront par la trouver ou au moins par découvrir les raisons de sa disparition et la manière dont elle a disparue. Mais plus le film avance et, comme dis précédemment, plus l'enquête policière est laissée de côté, plongeant le spectateur dans un climat d'incertitude, de questionnement: quel est la vraie intrigue? où le réalisateur veut-il nous emmener? peut-on lui faire confiance, vu qu'il nous a déjà trahis sur le contenu de l'histoire?

Alors on choisit de se laisser guider, et grand bien nous en fait, puisqu'il s'agit là du but de Antonioni: nous emmener sur des terrains que nous ne connaissions pas, qui n'avaient jamais été explorés jusqu'alors. Un peu comme Buñuel le fait dans "Le Chien Andalou" et ses autres films surréalistes, en fin de compte. Sauf que là, pas grand chose de surréaliste, juste une confiance que le réalisateur demande qu'on lui donne pour nous emmener vers quelque chose de nouveau. Car si on y regarde de plus près, il n'y a finalement rien d'anormal dans toute cette histoire. Des gens tombent amoureux partout dans le monde sans que personne ne s'en offusque, alors pourquoi pas le fiancé et l'amie d'une jeune disparue? Et c'est cela qui intéresse Antonioni dans ce film: montrer les personnages. Dans un film classique, la réalité est rendue lisse, changée pour être rendue plus facilement compréhensible pour le spectateur. Tout y est prémâché, et on n'a donc plus qu'à se concentrer sur l'action. Chez Antonioni, c'est l'inverse qui se passe. Son film ressemble à une armoire en kit dont on aurait pas donné le mode d'emploi pour la monter. Les liens, les rapports entre les Hommes ne sont en rien simplifiés, et Antonioni dresse donc un constat brutal, dans lequel les personnages définissent le récit, et non l'inverse. Les diverses personnalités des personnages définissent ce qui va se passer ensuite, comme quelque chose de naturel, d'inévitable, et Antonioni se contente de filmer cette sorte de fatalité, et l'expose sans fioriture aux spectateurs.

Les personnages errent seuls dans le monde, et cette solitude leur fait peur (voir le passage au village de Notto, et l'ensemble du film ou il y a vraiment peu de personnages, sauf quelques (rares) passages comme celui avec les journalistes autour de la star). Dans ce monde de solitudes, ils cherchent une épaule pour se reposer et n'être plus seul, c'est donc tout naturellement que lorsque Anna disparaît, augmentant leur vide affectif, Claudia et Sandro finissent assez rapidement par tomber dans les bras l'un de l'autre. Significatif de cette vision des choses, deux scènes. D'abord, juste après la disparition d'Anna, sur l'île de Lisca Bianca au paysage noir et très rocailleux, lunaire en somme, où tous les personnages font leur recherche dans leur coin, entrant et sortant du cadre les uns à la suite des autres, sans réelle logique, hagards. Puis après, de manière encore plus explicite la scène qui se passe au village abandonné de Notto, où la seule réponse de Claudia a sa question ("y-a-t'il quelqu'un?") n'est que l'echo de sa propre voix. D'ailleurs elle finira par le dire elle même, c'est lugubre, et elle ira se réconforter la scène d'après dans les bras de Sandro.

Mais en voyant la fin de "L'Avventura", on peut se demander si ces personnages ont réellement envie de sortir de leur solitude. En effet, si ce n'est le petit geste final de Claudia effleurant la tête de Sandro (et celui-ci reste timide, très timide même), on peut se demander si cela va suffire à nos deux "héros" à fonder un couple stable comme ils l'espèrent (ou du moins comme Claudia l'espère, car on en sait effectivement beaucoup moins sur les sentiments de Sandro). "L'Avventura" est donc un film très complexe, très difficile (voir impossible) à comprendre du premier coup (comme tous les films de Antonioni) et avec certains côtés pouvant nous rester, à nous spectateurs, totalement inaccessibles ce qui pourrait gâcher un peu notre plaisir, mais dont l'histoire et surtout la manière dont elle est traitée demeurent véritablement passionnantes.

critique écrite par Tagazok

ma note: 16/20

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La réplique du film:
filmsenvrac
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le 14 mars 2015

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filmsenvrac

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