La nuit est tombée, les portes se referment sur un épais brouillard, le paradis lui est bien ouvert, laissant les âmes entrer au gré des bourrasques remplies de cet air glacial des côtes des îles britanniques, nous spectateur pétrifié par tant de pure beauté tentons tant bien que mal de sortir de cette oeuvre magistrale, Mankiewicz a t-il touché la grâce ? En ce qui me concerne oui.

Cette romance nous fait voyager dans l’Angleterre du début du XXème siècle, Lucy Muir, jeune veuve, s’installe dans cette vieille maison au bord de mer dans l’espoir de reprendre sa vie en main accompagnée de sa fille Anna et de sa fidèle servante Martha. Elle va très vite se rendre compte que les lieux sont hantés par l’esprit d’un marin espiègle et renfrogné, il se montrera en premier lieu austère pour petit à petit s’attacher à sa présence et être implicitement subjugué par la beauté de "Lucia" comme il aime la prénommer. Tout deux vont rédiger main dans la main un roman qui deviendra un best-seller, mais leur relation se montre inévitablement compliquée, l’une doit garder les pieds sur terre et continuer son existence et l’autre même emprunt d’un amour retrouvé devra se résoudre à la laisser en paix.

Allié à la romance le ton fantastique du récit est donné par l’atmosphère du living-room, une silhouette s’expose une fois la porte entre-ouverte dans un clair obscure effrayant, que distinguons nous si ce n’est une présence ? Mankiewicz parvient à instaurer son ambiance avec une efficacité des plus redoutables, nous passons par plusieurs émotions en une poignée de minutes, de la terreur que nous inspire le tableau macabre de ce marin et son apparition pour basculer dans une mise en scène romanesque dévoilant l’ambivalence des sentiments des deux personnages et ensuite passer au registre comique où le fantôme s’amuse à effrayer la belle-mère et belle-soeur de Lucy.
Tout est déjà fait, le tour de force accompli, le film m’a déjà eu, c’est juste le cinéma à l’état pur, parvenir à fluidifier ses ruptures de tons, à partir de ces séquences je n’ai plus lâché l’écran jusqu’au générique final, une véritable immersion dans une histoire belle, passionnante et émouvante.

Impossible de ne pas s’émerveiller devant la présence de la rayonnante Gene Tierney, qui trouve dans ce film certainement l’un des rôles de sa vie après celui de Laura chez Otto Preminger, sa beauté n’a d’égale que son talent, elle est fabuleuse de bout en bout, un charme d’une douceur délicate et fragile, en face d’elle le charisme impressionnant de Rex Harrison fait forte impression, le duo fait des merveilles à l’écran, les ambiguïtés de leurs sentiments nous submergent. Le reste du casting n’est certainement pas à éluder, notamment la prestation de l’élément du triangle amoureux George Sanders qui interprète le rôle d’un écrivain célèbre pour enfants qui s’éprendra de Lucy, marquant d’ailleurs un retournement important dans l’histoire. Je n’ai pas trop envie de m’attarder sur la technique du réalisateur, préférant privilégier l’émotion première du long métrage, même si on pourrait en faire allègrement les louanges, je repense notamment à ce plan où en un travelling Mankiewicz parvient à rendre l’entrée en scène du marin de manière quasi mystique en scannant la pièce, se braquant sur l’horloge reflétant la distorsion de temps du rêve de Lucy pour compenser sur sa silhouette avec une photographie en noir et blanc toujours parfaite, du grand art.

La vie est ainsi faite que le temps passe et les cicatrices restent, le personnage de Lucy ne semblera jamais sortir de sa condition de femme meurtrie par les hommes, laissant le relai à sa fille Anna (jouée par Natalie Wood), l’atmosphère reste empreinte de nostalgie onirique, de regrets, de secrets, l'âge de la vieillesse atteinte la mort s'approche à grands pas, mais pour mieux lui sourire et ainsi la délivrer de sa solitude, et de la plus belle des manières. Je dois dire que ce final je l’attendais et l’espérais, et cela arrive, encore meilleur que je n’aurais pu l’imaginer d’ailleurs, d’un romantisme incroyable et d’une rare beauté, la musique joue d’ailleurs un rôle prépondérant dans l’émotion tout au long du film et atteint ici son paroxysme, les portes de l’au delà sont d’une quiétude réconfortante.

"L’Aventure de Mme Muir" est à mes yeux un chef d’oeuvre incontestable du 7ème art où tout ce qui fait la grandeur du cinéma est présent, on ressent au plus profond de nous de si belles émotions, il est aussi matière à réflexion sur notre existence et à la valeur des sentiments amoureux, Mankiewicz maitrise son récit et sa réalisation de bout en bout sans jamais faiblir, les acteurs sont au sommet, la morale de l’histoire est sublime, quoi dire d’autre à part que je manque de mots pour décrire ce film, juste magique !

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le 29 déc. 2014

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JimBo Lebowski

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