On a beaucoup écrit à propos de l'Aurore de Murnau, considéré à juste titre comme l’un des plus beaux films du monde. On a beaucoup écrit mais très peu sur le cochon. Vous savez, ce drôle de petit cochon qui apparait aux deux tiers du film. Celui qui, à la fête foraine, se fait la malle au nez et à la barbe de son dresseur, direction la cuisine du restaurant. Cuisine où il étanchera sa soif avec le contenu d’une bouteille de vin malencontreusement répandue sur le sol. Le premier cochon soûl de l’histoire du cinéma ! Ce cochonnet, noir aux deux sens du terme, c’est un peu la version tirebouchonnée du lapin blanc de Lewis Carrol. Lorsqu’il se carapate, filant entre les pieds des visiteurs, il semble inviter Janet Gaynor (la Femme) et George O'Brien (L’Homme) et à le suivre...au pays des merveilles. Quelques minutes plus tard ce dernier finit par attraper l’animal devenant le héros, à son corps défendant, de la grande fête citadine. Le couple exécute alors une danse « paysanne» à la grande joie des spectateurs mais surtout de Janet Gaynor qui ne rêvait que de ça.
Quant à l’ivresse dont notre cochon se rend coupable, il préfigure celle des deux amoureux littéralement ébahis par les surprises que la ville leur réserve. La ville est ainsi le décor de la réinvention de leur amour. Une sorte d’Eden comme en témoigne la fameuse scène où le couple, enfin réconcilié, traverse une rue pleine de voitures tandis que le fond se transforme en jardin. Or que faire au Paradis si ce n’est jouer avec les tentations ?
Ce ne sont pas les occasions qui vont manquer. Ainsi, la scène du barbier procède-t-elle à une inversion des rôles, la femme devenant l’objet de la convoitise d’un séducteur de la ville à la grande contrariété de son mari. A noter que Janet Gaynor est juste parfaite dans ce registre de l’épouse « trop » sage bien décidée à s’encanailler. A ce titre, la visite chez le photographe est sans doute la plus intéressante. Tandis que celui-ci plonge la tête dans son daguerréotype pour procéder à quelque réglage, les deux amoureux de bécotent comme deux gosses risquant d’être pris en faute. Et un peu plus loin, à nouveau seuls dans le salon du photographe, on les retrouve intenables en train de chahuter sur un canapé provoquant la chute d’une statue de décoration. Bêtise qu’ils se garderont bien d’avouer. Puis viendront les attractions de la fête foraine, le cochon et tout le toutim….
Alors certes, L'Aurore est d'abord un mélo, à l'image de la première partie du film portant sur l’adultère ou de ce final qui rebat les cartes de façon dramatique. Mais avec ce tableau central du triptyque consacré à la ville, Murnau illustre à merveille cette idée universelle selon laquelle il n’y pas de meilleur remède à la routine dans la vie d’un couple que des moments de partages, de fantaisie et de complicité. Copains comme cochons plutôt qu’amants transis en quelque sorte.
Une vraie leçon d’amour.


10/10
<3

Theloma
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le 18 févr. 2020

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Theloma

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