L'Assemblée
5.9
L'Assemblée

Documentaire de Mariana Otero (2017)

"Pendant que ma ville dort..."

Avec un montage mêlant scènes de joie, de doute et confrontant les acteurs de Nuit debout à leurs propres limites comme désirs de transmission de cet esprit de révolte, Mariana Otero fait de L‘Assemblée le témoignage le plus vivace et le plus passionnant sur Nuit debout à Paris. Analyse.


De Nuit debout, ceux qui n’étaient pas à Paris ou dans les grandes villes (ou qui dormaient, travaillaient…) n’ont eu que les quelques bribes que les médias ont fait parvenir jusqu’à eux. Des parcelles du combat mené, des violences répétées (peu de douceur a été montrée, de joie aussi), jamais la fougue de ceux qui restaient debout la nuit à débattre, à chercher à améliorer leur société. D’autres encore ont pu suivre en direct sur l’application Périscope des moments in medias res de cette épopée assez inédite dans la France du XXIème siècle. Cette communication-là n’a jamais été le témoin des contradictions, des désirs et de l’enthousiasme comme des désillusions de ceux qui étaient Place de la République. Avec L’Assemblée, Mariana Otero a suivi Nuit debout à Paris dès ses débuts. La documentariste, qui a à son actif entre autres La loi du collège ou encore A Ciel ouvert, s’est immiscée telle une petite souris dans le quotidien de Nuit debout, sans jamais intervenir, sans interview, sans voix off. Elle s’est contentée d’observer puis de monter les images qu’elle a prises sur le vif, pour leur donner un sens.


« Je cherche un sens à tout cela »


Le sens, c’est d’ailleurs ce que recherchent sans cesse tout ceux qui passent Place de la République, font partie des différentes commissions créées dès mars 2017, mais aussi tous ceux qui ont participé, à un moment donné, à l’assemblée (qui donne son titre au documentaire), chargée d’écrire une nouvelle constitution. Grâce à ce récit, les militants et autres anonymes ne parlent pas d’une seule voix, mais plusieurs voix se font entendre, cherchant à faire naître un état d’esprit de révolte, qui s’appuie sur le local pour faire barrage à un monde globalisé qui n’écoute plus ceux qu’on voudrait faire passer pour « riquiqui » (petite ritournelle d’une chanson présente dans le documentaire). L’objectif n’est pas de dire si Nuit debout a ou non été « efficace », car la loi El Khomri, on le sait, a fini par être adoptée et a encore des réminiscences ces derniers mois, mais plutôt de voir comment l’état d’esprit de ce mouvement peut être transmis. De celui qui propose à chacun de faire résonner des casseroles dans tout le pays pour manifester et faire plier le gouvernement, à ceux qui s’interrogent sur l’intérêt de débattre (dénonçant un « bla bla » très français) tout le temps, en passant par celui qui ne veut pas que l’on condamne la violence de certains militants, toutes les voix tentent de s’exprimer, quitte à donner à Nuit debout l’aspect d’un énorme vivier sans forme, dont l’objectif serait de changer le monde. Le mouvement va alors s’interroger, et les moments sont bien choisis par la documentariste, sur les membres même de l’assemblée de Nuit debout, quitte à les qualifier de « petits bourgeois », sur la place du mouvement dans la grève qui s’est déclarée aussi au cœur des revendications contre la loi travail. Le pays entier aurait ou être paralysé. Là encore, la question des transformations, des survivances de Nuit debout dans les esprits et les révoltes est posée. Mariana Otero n’avait pas de plan de travail pour ce documentaire, elle a simplement écouté, observé, participé en silence, repéré des fractures, des signes annonciateurs d’un élan de vie, de résistance. Avec ce documentaire humble et juste, Mariana Otero pose une question passionnante, qui anime nombre de films comme celui du combat d’Act UP Paris dans 120 battements par minutes, qui est « comment construire quelque chose ensemble tout en considérant chacun dans sa singularité ? Comment réinventer le collectif ? Comment parler ensemble sans parler d’une seule voix ? ». Le cinéma parvient, film après film, à donner la parole à des individus et à vibrer sous la force du collectif, et ce particulièrement en France, terre de naissance du cinéma qui filma à ses débuts la sortie d’usine d’un groupe d’employés aussi collectif que singulier. Espérons que ce dispositif sans grille de lecture prémâchée, un peu à la manière du documentaire de Claire Simon sur le Concours de la Fémis, permette à celui qui regarde de devenir acteur et de n’être pas qu’un spectateur.

Créée

le 18 oct. 2017

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eloch

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