Étrange objet filmique que cette Arche de Noé

Nul ne contestera la légitimité de ce fils de juifs de Budapest à traiter d'un tel sujet. Mais pourquoi imbriquer la Grande Guerre et le Déluge, puis les filmer sans paroles, entrecoupés de rares scènes parlées ?


Faut-il y voir un ultime hommage du futur réalisateur de La charge de la brigade légère et de Casablanca au cinéma muet ? Le "silence" n'a-t-il pas accouché de chez d'œuvre intemporels, du Kid à Nosferatu, de Métropolis au Mécano de la General ? Michael Curtiz nous propose d'admirer, une dernière fois, Dolores Costello jouant les vierges outragées, ou le vieux prêtre implorant son Dieu. Tout un art de jouer concentré dans un regard, une expression et une attitude...


Les deux histoires justifiaient allègrement un film à part entière.
" La plus grande guerre connue (à ce jour) et ses dix millions de morts.
" L'engloutissement d'une civilisation.
Mais, pourquoi les associer ? Pour donner un sens au massacre ? Des millions de cadavres peuvent-ils trouver un sens ? Peut-on soupçonner Curtiz d'une forme moderne augustinisme ? Manifestement. Le péché des hommes appelle la malédiction divine, pour le bien de l'humanité. La société du roi Nephiliu est manifestement maligne, érigée sur l'esclavage, le vol et le viol, la colère de Dieu est compréhensible. Le manichéisme est assumé, les maîtres sont odieux, alcooliques, pervers, menteurs... justifiant le Déluge. Il semble difficile d'imputer à la société européenne du début du XXe siècle une telle accumulation de crimes. La Troisième république et ses voisines n'étaient pas angéliques, il suffit de relire Émile Zola, Flora Tristan et Karl Marx, mais elles ne pratiquaient pas les sacrifices humains à la même échelle. Cette exigence théologique alourdit le scénario. Ainsi, que penser du maniérisme de l'exécution et du manque de crédibilité du sauvetage par le mari... appuyé par un Dieu artilleur ? Ou de l'utopie, hélas contredite par les faits, de la scène finale ?


Ces réserves admises, il reste un magnifique spectacle. Vous admirerez :
" Le réalisme, mesuré, de la scène d'assaut dans les tranchées.
" La bêtise insane de la guerre industrielle, symbolisée par ces tirs fratricides.
" La démesure de l'accident ferroviaire, des innombrables figurants, de la cité maudite et de sa noyade finale.
" Les larmes de l'amitié virile retrouvée.
" La beauté extrême de la bergère sous les frondaisons.
" Le regard si clair de Dolores Costello (grand-mère de Drew Barrymore). Méfiez-vous de ces yeux, quand ils se font implorant, le châtiment divin ne se fait guère attendre : éclairs punitifs, obus de gros calibre ou trombes d'eau.
" Le saisissant buisson ardent et son message gravé en lettre de feu à même le roc !


Les grincheux s'étonneront que Noah et ses deux fils bâtissent seuls leur arche. L'appui des Veilleurs de pierre de la version contemporaines de Darren Aronofsky rendaient leur travail moins pénible. Michael Curtiz respecte le texte sacré, qu'ils bossent !


Merci à WeSTiiX pour cette " reco ".

Créée

le 8 févr. 2018

Critique lue 351 fois

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Step de Boisse

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