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Auteur accompli aux multiples facettes, signant par exemple lui-même la bande-son de ses films, John Carpenter a depuis son succès planétaire « Halloween » en 1978 construit une constellation entière et cohérente du cinéma fantastique et de science-fiction. Anarchiste toujours remonté contre les studios, il est surtout l’un des réalisateurs les plus incompris de son temps, enchaînant les échecs critiques comme (moins souvent) commerciaux. Son œuvre fut largement réhabilitée avec le temps, mais si vous voulez la preuve définitive que Big John n’est pas aussi écervelé et naïf qu’il en a l’air, « L’Antre de la Folie » (1995) apporte des éléments de réponses tangibles en synthétisant la démarche du réalisateur, à la fois sincère et pleinement consciente de ses limites.


Sam Neill, deux ans après ses mésaventures avec de féroces dinosaures dans « Jurassic Park », ne s’est toujours pas remis de ses émotions : il est enfermé dès le début du film en camisole de force. Comment un enquêteur de fraude aussi talentueux que lui s’est-il retrouvé en hôpital psychiatrique ? Il n’y avait, raconte-il, pourtant pas plus cartésien que lui. Aussi, lorsqu’il se rend dans un patelin perdu à la recherche d’un écrivain à succès fuyant ses propres éditeurs, son incrédulité est tenace : les phénomènes étranges qu’il vit ne peuvent rationnellement pas exister. Conscient du caractère éculé de son récit, John Carpenter en propose une fois de plus, à l’instar de « They Live », une seconde lecture plus extralucide que jamais. Le scepticisme a toujours été son pire ennemi tellement un tel sentiment empêche d’apprécier ses films à leur juste valeur : il s’applique ainsi à abattre progressivement celui de son personnage principal. Jump-scare, jeu sur le hors-champ, flash d’hallucinations, les procédés horrifiques sont d’un classicisme consommé, tout comme le lieu de l’action et le bestiaire organique et suintant qui compose le film. Tous ces éléments ne font pourtant que contribuer à l’ambivalence de registre du film : si Carpenter veut qu’on prenne au sérieux ses délires mystiques, pourquoi les rendre aussi grossier et faussement immature ?


Le thème de la croyance qui parcourt toute sa filmographie trouve ici son apogée au point que le personnage principal et le spectateur ne fassent plus qu’un. Les deux ne peuvent que rester perplexes devant la machinerie grotesque qui se déploie à leurs yeux, et ce dès le générique de début : connaît-on beaucoup de films d’horreurs débutant par un morceau de rock en roue libre ? Carpenter opère ensuite un glissement vers une plongée horrifique complète, tout comme le superbe thème principal du film : le spectateur comme le personnage sont piégés dans leur propre cynisme, se surprenant à croire à une logique démentielle, voulant que les fictions écrites par le mystérieux écrivain deviennent réalité. La schizophrénie les guette alors, partagés entre leurs aprioris hermétiques à l’esprit fantastique et métaphysique du réalisateur, et l’immersion indéniable que procure la dernière partie du film, magnifiquement conclue par le pinacle de cette mise en abyme : Sam Neill, errant dans un monde désormais dominé par le chaos, rentre dans une salle de cinéma pour visionner… « L’Antre de la Folie », dont il joue le rôle principal. Le réalisateur sublime ainsi un matériau originellement peu reluisant, tout en perpétuant un univers typique infiniment attachant, constitué de : un flic zombie dans une ruelle sombre, un hôtel sordide tenu par une grand-mère tueuse, une foule cathartique armée de fusils à pompe, une église envahie par les démons d’une autre dimension, etc.


C’est bien nous rendre fou que cherche John Carpenter, il désoriente une fois de plus le spectateur en prenant ses attentes à contrepied. Mais « L’Antre de la Folie » a la particularité d’expliciter par la mise en abyme la sève de toute la filmographie du réalisateur : il veut avant tout partager sa passion pour la science-fiction et le fantastique dans leurs formes les plus improbables, du plus virtuose et anxiogène « The Thing » au plus grotesque « Big Trouble in Little China » pour mieux réfléchir sur leur représentation et leur véritable portée. C’est précisément cette distanciation teintée d’autodérision et parfois même de burlesque qui fait de Big John le cinéaste de genre le plus remarquable de sa génération.

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le 6 mai 2016

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Marius Jouanny

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