L’Antre de la Folie est le dernier grand film de John Carpenter. Il conclut brillamment sa trilogie de l’apocalypse entamée en 1982 avec The Thing puis Le Prince des Ténèbres en 1987.


Au commencement…


John Trent (Sam Neill) est un enquêteur des assurances. Dans le cadre de ses activités, un éditeur Jackson Harglow (Charlton Heston), lui demande de retrouver Sutter Cane (Jürgen Prochnow), un écrivain célèbre qui a disparu alors qu’il doit lui livrer son dernier roman. John Trent part à sa recherche en compagnie de Linda Styles (Julie Carmen). Un voyage qui va l’amener au bord de la folie.


Du film noir à l’horreur


L’œuvre débute comme un film noir. John Trent est une sorte de Philip Marlowe, accompagné de Linda Styles en femme fatale. L’homme est sûr de lui. Il vit dans un monde dont il maîtrise les codes et règles. En se lançant sur les traces de Sutter Cane, il va perdre tous ses repères et basculer dans un univers qui va mettre à mal sa masculinité et ses convictions.


La barrière entre la réalité et la fiction est infime. Elle l’est particulièrement dans l’esprit des fans, qui s'approprient les œuvres de leurs auteurs favoris, en se projetant dans leurs univers afin d’oublier les difficultés de la vie. Ils sont sous influence et perdent leurs identités pour devenir les personnages d’une fiction écrite par Sutter Cane. On la perçoit à travers leurs yeux injectés de sang où le visage marqué par des plaies purulentes, ainsi que par leurs propos “I see you”. Un terme qui peut-être rattaché au “Big Brother is watching you” de Georges Orwell dans son roman dystopique 1984.


Dès sa plongée dans les romans de Sutter Cane, John Trent bascule dans cet univers. Ses doigts suintent de l’encre issue des pages. Son esprit est contaminé. Il voit le monde d’un œil différent, comme avec ce policier dont le visage se déforme au fil de ses horrifiques apparitions. Les scènes oniriques sont d'une redoutable efficacité. Comme son héros, on ne sait plus si nous sommes dans la réalité, un cauchemar où dans une autre dimension.


Le “passage” à Hobb’s End fait définitivement basculer le film dans l’horreur. John Trent et Linda Styles ne cessent de se disputer sur le fait d’être dans un roman de Sutter Cane. C’est une évidence aux yeux de cette dernière, alors qu’il se débat avec son esprit cartésien. Ils ne sont plus que des personnages fictifs. À moins qu'ils ne viennent de franchir la porte des enfers dont Sutter Cane en est le prince des ténèbres.


Une œuvre sous influence(s)


L’Antre de la Folie est une œuvre sous influence Lovecraftienne avec son héros sombrant dans la folie, ainsi que son basculement d’une réalité à un univers cauchemardesque, où des créatures démoniaques prennent forme, annonciateur de la fin de notre monde.


Stephen King est une autre source d'inspiration. Comment ne pas faire le parallèle avec le personnage de Sutter Cane, dont il partage presque les initiales, en plus d’être aussi un auteur de romans d’épouvante dont John Carpenter a signé l’adaptation de Christine en 1983.


L’influence principale de l’univers de John Carpenter est celle d’Howard Hawks. Le personnage de John Trent à la Philip Marlowe, créé par Raymond Chandler, semble sortir directement du Grand Sommeil de 1947. Une influence omniprésente au sein de la filmographie de John Carpenter, qui ne cache pas son admiration pour le réalisateur. Il est celui qui lui a donné envie de devenir metteur en scène. Dès son second film, il lui rend hommage avec Assaut qui est librement inspiré de Rio Bravo. Puis, il va réaliser le remake de La chose d’un autre monde avec The Thing, qui est le premier volet de la trilogie de l’apocalypse.


Une trilogie de l’apocalypse dont The Thing me semble être un film à part dans la filmographie de John Carpenter. Invasion Los Angeles a plus sa place auprès du Prince des ténèbres et de L’Antre de la folie. Des œuvres qui évoquent la dégénérescence de notre société avec la contamination de nos esprits par les médias, son consumérisme exacerbé et de l’omniprésence de la violence, qui vont faire dire à John Trent "On a pollué l'air, la nature et l'homme, il ne reste plus qu'à tirer la chasse".


Le diable se cache dans les détails


Dans sa cellule capitonnée au sein de l'hôpital psychiatrique, John Trent va se lamenter dès que les premières notes d’un morceau de The Carpenters résonnent dans les couloirs. Un private joke de la part de John Carpenter, lui-même compositeur de la musique de ses films, dont il est un homonyme.


A l’entrée de la salle de cinéma, le réalisateur crédité pour le film à l’affiche est John Carpenter, alors que les acteurs sont ceux de L’Antre de la folie, finissant par faire d’eux des personnages fictifs. Un film qui est l’adaptation du roman posthume de Sutter Cane, dont l’éditeur avoue n’avoir jamais lu la moindre de ses œuvres. Il ne le publie que pour les bénéfices financiers au détriment de l’extinction de notre civilisation. Un personnage interprété par Charlton Heston, un fervent défenseur de la NRA.


Enfin bref…


L’Antre de la folie est la dernière œuvre marquante de John Carpenter. C’est un savant mélange entre le film noir et l’épouvante, ainsi qu’une réflexion sur notre société. Une œuvre qui se bonifie avec le temps, tant les thématiques abordées trouvent un écho au sein de notre civilisation au bord du gouffre, ainsi qu’un hommage à Howard Hawks et H.P. Lovecraft, deux des plus grandes influences d’un de mes metteurs en scène préférés de l’histoire du cinéma.



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le 20 juin 2022

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Laurent Doe

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