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Cauchemar sur pellicule



L'Antre de la folie est selon John Carpenter le dernier film de sa trilogie de l'Apocalypse débuté en 1982 avec « The Thing », suivi en 1988 par « Prince des Ténèbres ». Le cinéaste a l'expérience du roman et il le prouve en intégrant dans sa fresque névrotique une multitude d'hommage à Howard Phillips Lovecraft, ainsi que Stephen King. Une dédicace sincère, troublante et originale à la littérature fantastique horrifique. L'œuvre la plus inventive et (peut-être) cauchemardesque du cinéaste. Une sacrée claque qui nous plonge avec agonie dans un récit où la frontière entre la fiction et la réalité est quasi nulle. On finit par y perdre toute notion de cohésion et de bon sens. On est égaré dans les abîmes indescriptibles du cerveau de Big Jones. Le récit joue parfaitement de son intrigue métaphysique en captivant le spectateur par le biais d'une enquête mystérieuse qui apporte beaucoup de suspens et d'inattendu.


Sur un scénario de Michael De Luca, on suit le détective "John Trent" (Sam" Neill), spécialiste dans l'art de débusquer les arnaques. Il doit retrouver "Sutter Cane" (Jürgen Prochnow), écrivain d'un livre pour le moins effrayant. Sa quête va le conduire à la ville de Hobbs End, où le pauvre bougre (et nous avec) va se retrouver perdu dans les limbes de la folie. Une histoire complexe au sujet de fond conséquent qui aborde avec intelligence des points électriques comme la "religion", et son implacable endoctrinement sur l'homme. L'intrigue ouvre un parallèle intéressant entre le fameux roman démoniaque de Sutter Cane, capable de posséder les consciences de tout le monde, et la Bible (ou tout autres livres religieux). S'ajoute une critique de la mondialisation avec une analogie de la surconsommation. Un aspect insatiable de l'économie qui même face à des problèmes reconnus veut toujours plus malgré les conséquences qu'il pourrait y avoir derrière. Une critique toujours plus d'actualité à travers l'écologie.



Chaque espèce ressent l’approche de son extinction.



Techniquement, L'Antre de la folie est une véritable démonstration de force pour John Carpenter qui avec un budget moindre fait beaucoup. Son rapport à la mise en scène est impérial. Le cinéaste déploie une ambiance anxiogène difficilement descriptible faisant la puissance de ce film.
Une atmosphère étrange, dérangeante, malsaine, austère, et glauque. La conception d'un espace-temps mystique cauchemardesque irrationnel. Un véritable délire ! La petite ville de Hobbs End est superbement représentée par des décors convaincants signés Jeff Ginn. Il offre des petits détails satisfaisants que tout partisan de littérature fantastique horrifique devrait apprécier. Un environnement morbide recouvert d'un spectre mortuaire saisissant. Un contraste intuitif de la luminosité pour une image sublimée par la photographie de Gary B. Kibbe. Il présente un rapport à la lumière et aux ténèbres qui favorise une profondeur du champ en parfaite synergie avec le récit.


Les subterfuges employés pour pallier le manque de budget fonctionnent très bien. Même, si on pourrait regretter un manque de structure autour des monstres. Les effets spéciaux et les maquillages de Robin Michel Bush sont utilisés via un contraste sombre afin de pallier le manque. Une conduite perspicace, qui va ajouter de l'inquiétude à l'indicible pour mieux laisser notre imagination faire le reste. Une perception qui favorise une tension continue avec la soutenance d'une bande-son sortie d'outre-tombe. Une composition musicale une fois de plus signée John Carpenter, qui est cette fois-ci accompagné de Jim Lang. Big Jones présente des titres percutant au synthétiseur sur des élancements aigus rock n 'roll, qui renforcent l'emprise de son époque. Je dénote à travers les notes de la partition une dérision en adéquation avec l'esprit troublé de ce pauvre détective.



Ça commence à être la merde dehors, on dirait.



L’essence même du mal demeure la préoccupation principale de Carpenter, qui va illustrer bon nombre de séquences angoissantes. Des moments prodigieux qui entretiennent un malaise terriblement flippant. Je pense en particulier au passage à vélo, avec les coups de pédale. Une scène dérangeante qui indispose le spectateur. Le sommet étant atteint lors de son final. Un ultime passage viscéral, culte et épique. Une mascarade dépressive et surnaturelle, où ce pauvre John Trent se retrouve seul dans une salle de cinéma dans l'incompréhension la plus totale. Que s'est-il passé ? Comment est-il arrivé ici ? Est-ce vraiment arrivé ? A-t-il tout inventé ? Réalité ? Démence ? John Trent pète les plombs, et ne trouve comme seule réponse que de rigoler. Un rire qui symbolise la désespérance. On partage son terrible fardeau. Surgis le lever de rideau. On ressort usé mais fasciné par tant de génie. Chacun ira de son interprétation quant à savoir si le héros est réellement fou : perdu dans sa propre folie au fond de sa cellule psychiatrique, ou s'il a bien eu à faire au véritable mal : Sutter Cane, qui a mis fin à ce monde de par ses écrits.


Le comédien Sam Neill sous les traits du fameux John Trent est magistral ! Son interprétation est impressionnante. Il explore la folie avec virtuosité. On y croit ! Il est très malin de la part du cinéaste d'avoir fait du personnage une personne rationnelle qui refuse de croire à ce qui se passe. Il essaye tout du long de se raccrocher à un élément qui aussi infime soit-il pourrait expliquer tout ce qui lui arrive. Cartésien, mais jusqu'à quel point ? Un cheminement pertinent qui fait qu'on s'identifie totalement à lui. Tout comme lui, on finit par perdre la rationalité, lentement. Une fatalité qui nous marque, nous fatigue, et nous consume. On essaye de trouver des justifications, mais L’Antre de la folie n’obéit à aucun code en vigueur ce qui en soit en fait une œuvre intemporelle.



Vous pouvez faire une croix sur Stephen King, Cane se vend beaucoup mieux.



Pour le reste de la distribution, on retiendra Julie Carmen pour le rôle de Linda Styles. Sans être incroyable, la comédienne est suffisamment crédible pour nous accompagner tout au long de l'histoire. Linda a un rapport avec la réalité bien moins ferme que Trent. Elle comprend plus rapidement que la fin du monde va arriver. Elle offre un bon duo au personnage principal. Vient ensuite le fameux Sutter Cane incarné par Jürgen Prochnow. Prochnow fait très le job ! Charismatique et mystérieux à la fois il fait figure d'une menace saisissante. Le parallèle fait entre Sutter Cane, Stephen King et Howard Phillips Lovecraft est formidable. Le reste du casting est convaincant.


Au final, le message dressé à l'époque par John Carpenter à travers L'Antre de la folie se rapporte à un rapprochement ironique sur la critique abusive faite par bon nombre de critiques. Une constatation moqueuse envers ceux proclamant que le roman fantastique horrifique c'est idiot. Qu'il n'a nullement sa place dans la haute sphère. Un sentiment hautain auquel John Carpenter répond par un magnifique fuck avec L'Antre de la folie ! Il ne fait aucun doute que Big Jones a plus d'une fois marqué le cinéma d'horreur par le biais d'œuvres intelligentes. Avec ce titre, il s'impose une nouvelle fois comme l'un des plus grands précurseurs d'un genre souvent bafoué. Auquel il offre tellement d'élément et de sens cachés, qu'il faudrait des pages et des pages pour tout énumérer. En soi, les compétences requises pour rester très longtemps dans les mémoires comme une grande œuvre sont réunies dans L'Antre de la folie.



CONCLUSION :



L'Antre de la Folie est un immense film d'horreur paranoïaque. La conception pharaonique d'un John Carpenter inventif qui en matière de profondeur, d'ambiance et de technicité rend un superbe hommage aux grands écrivains du fantastique horrifique comme Lovecraft et King. Une dérive machiavélique pour une perte de repères qui fait froid dans le dos. Une proposition unique qui nous impose une approche éprouvante et illogique par les actions d'un Sam Neill fantastique, à qui l'on s'identifie sans mal pour notre plus grand malheur. Un film qui porte très bien son titre qui se présente comme une mise en garde !


Un grand classique du cinéma d’épouvante pour John Carpenter qui une fois encore sera récompensé par un flop lors de la sortie cinéma. Triste récompense. Un flop culte !



Ça c’est la réalité... Vous entendez ? Réalité.


Créée

le 8 nov. 2018

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