Si la prolifique carrière de John Carpenter nous a habitué à un certain niveau de qualité, je me suis souvent demandé lequel de ses films pouvait être considéré comme son plus abouti : il faut dire que le monsieur, bien qu'ayant su rapidement apposer sa marque de fabrique, s'est essayé à de multiples styles qui, bien qu'ils gardent tous un pied dans l'horreur, l'exploite chacun à leur manière.


Dur de départager, et pourtant, il y a UN film d'une perfection inébranlable dans la carrière du maître, et son nom est L'Antre de la Folie. Nous sommes en 1994, et la filmographie de Big John est déjà bien remplie.


Pourtant, il s'apprête à livrer un métrage horrifique sans précédent...


Chaque espèce ressent l’approche de son extinction.

L'introduction en dit d'ailleurs long sur l'envie du réalisateur de nous embarquer dans une aventure hors norme : si les premières notes de synthé rappellent la pure patte Carpenter, la suite en riff de guitare sauce Metallica met à l'amende le spectateur curieux. S'en suit, en parallèle, une succession de plans frénétiques sur une machinerie infernale mettant en presse le nouveau roman de Sutter Cane, un écrivain à succès en passe de détrôner le grand Stephen King lui-même. Ses romans d'horreur semblent attirer à eux le monde entier, et les réactions, parfois excessives, de ses fans, ne semblent pas déranger le moins du monde la maison d'édition en charge de l'auteur.


En fait, ils ont un problème bien plus grave, puisque Cane a disparu depuis deux semaines, alors qu'il bouclait son prochain livre. Le détective privé John Trent, engagé par la maison, se lance sur sa piste jusqu'à une mystérieuse ville tout droit sortie de l'imaginaire de Cane...


L'inspiration majeure du film, à savoir les écrits de l'auteur H.P Lovecraft, est ici l'une des clés de voûte du métrage, et permet ainsi d'apprécier d'autant plus cette plongée dans la folie humaine. Ainsi, l'horreur se trouve dans un terrible fossé entre rêve et réalité, et aucun échappatoire n'est possible pour le pauvre inconscient qui oserait s'aventurer en ces contrées hallucinées.


Carpenter use de son faible budget avec une grande intelligence, en usant d'un montage frénétique et d'une photographie au contraste marqué afin de garder l'horreur la plus dissimulée possible, tout en satisfaisant notre curiosité. Après tout, l'horreur lovecraftienne est, par définition, innommable et indéfinissable.


Tantôt dans l'hommage au Cauchemar d'Innsmouth, tantôt dans le trip méta halluciné, L'Antre de la Folie offre, pendant 1h30, de sublimes séquences de violence et de visions terrifiantes, qui ne laisseront pas le spectateur intact. Sam Neil (John Trent) est impeccable dans son interprétation d'homme brisé par la découverte d'une réalité insoutenable, et il offre sûrement l'une de ses plus grande performances avec son rire final d'anthologie. Dans sa façon de nier la réalité qui s'offre à lui, il va pourtant devoir, face à un déluge d'horreur innommable, céder à l'appel des Anciens Dieux, pour enfin se libérer de cette souffrance interminable.


En parallèle de son histoire d'horreur, Carpenter revient à l'un de ses thèmes phares, à savoir la critique sociale, déposée en filigranes. Il s'adonne ici à dénoncer le consumérisme à outrance et use du personnage désabusé de John Trent pour porter ce message de fin du monde imminente aux oreilles d'une société qui n'écoute qu'à moitié les hurlements déchirants de la réalité : la maison d'édition, peu inquiète de voir des vagues de violence se produire face à la lecture d'un de leur ouvrages, préfère privilégier la récupération de leur auteur best-seller que simplement se préparer au pire.


Ça c’est la réalité… Vous entendez ? Réalité.

Avec une maîtrise absolue de sa photographie et de ses cadrages, John Carpenter délivre ainsi l'une des plus belle lettre d'amour à Lovecraft et à son panthéon d'Anciens Dieux qui ait été faite.



Tel Sam Neil, on esperait désormais pouvoir se cacher au plus profond de la Terre, dans l'espoir d'échapper à ses visions fugaces qui nous hanteront sûrement jusqu'à la fin de vos jours...


Mais l'appel des Anciens Dieux est si fort... Le Grand Cthulhu se réveillera bientôt de sa demeure de R'lyeh, et Yog Sottoth semble n'être pas bien loin... La fin d'une ère est pour bientôt, et ce film en est sûrement l'annonciateur.



Le-Maitre-Archiviste
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Créée

le 26 déc. 2022

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