Je crois que je n'avais pas vu un truc pareil depuis le Jour et la Nuit de sinistre mémoire, autant de ridicule boursoufflé sans le moindre recul ni conscience, ça impressionne, forcément...

Alain Robbe-Grillet ne se contente pas de haïr la littérature et de tout faire pour le prouver il a aussi pensé à souiller au passage le cinéma de son invraisemblable absence de talent dans ce pensum dont il écrit l'histoire (inexistante), les dialogues (ineptes) et le découpage (risible). Pendant ce temps-là, Resnais lèche ses cadrages et sa photographie comme un marbrier ses pierres tombales.

J'avais pourtant donné au film toutes ses chances, choisissant minutieusement un après-midi solitaire de gueule de bois, ces moments où le moindre geste devient impossible et où la seule réaction saine (couper tout de suite cette abomination et regarder un vrai film) ne peut parvenir jusqu'à mon cerveau fatigué.

Dès le début, on sait qu'on va avoir droit à une de ces séances horrifiques qui se comptent sur les doigts d'une main de lépreux, la musique assommante, la pièce de théâtre lourdingue, le maniérisme pathétique, tout concorde pour former comme une sorte de parodie de film prétentieux à la française, vous savez bien, ceux du début des années soixante qui allaient montrer au monde ce que c'était que réellement le cinéma et qui méprisaient tout ce qui en faisait l'essence : l'histoire, les acteurs, le montage, entre autres... et qui donnent finalement furieusement envie de rajouter un ou deux points à tout le cinéma de papa des années cinquante tant la comparaison est douloureuse...

Malheureusement, une parodie involontaire dénuée du moindre humour, à un moment, ça lasse, surtout que les trois abominables pantins qui servent de personnage ont commencé à intervenir et, pire, à parler de ces voix affreusement monocordes qui sont la marque de fabrique obligatoire de tout navet prétentieux qui se respecte. Dans cette bande-son révulsante, chaque syllabe, chaque rire contraint donne envie de déterrer un Resnais encore chaud pour faire passer sa dépouille par toute la variété des tortures barbares que votre esprit vagabondant se met à créer pour l'occasion, compensant par une imagination fertile l'absolu manque d'idée qui se déroule alors devant vos yeux en pleurs.

Et non, je le regrette pour tous les étudiants en première année des beaux-arts qui trépignent tout émoustillés devant ce modèle indépassable, une symbolique lourdement appuyée n'a jamais été le commencement du début d'un bourgeonnement d'idée.

Donc à un moment, rire tout seul devant son chat à chaque réplique, ça ne suffit plus, on se dit qu'on n'est peut-être pas assez faible pour subir autant d'abjection au réveil et que quels que soient les pires péchés qu'on a pu faire dans sa vie, on les à déjà rachetés la veille en finissant Moins que zéro et que se taper dans le même week-end un des pires livres de l'humanité et un de ses pires films, ça commence à dépasser la mesure.

C'est étrange comme tout en étant parfaitement creux ces pantins amorphes parviennent cependant à suer l'antipathie par tous les pores de leurs visages désagréables, j'ai coupé le son une ou deux fois, par hygiène, mais même sans les dialogues grotesques ils arrivent à repousser les limites du répugnant avec une nullité toujours confondante.

C'est tellement cliché que ça pourrait presque en devenir fascinant, surtout avec cette laborieuse mise en scène académique qui souligne gravement tout le vide du propos mais non, même ça ils le ratent lamentablement, l'ennui triomphe et s'étale partout sans le moindre petit espoir d'une compensation quelconque.

Le meilleur moment du film c'est quand je suis allé pour la deuxième fois soulager ma vessie de petite fille de trois ans, exceptionnellement je n'ai pas cru bon de mettre le film sur pause et j'ai bien gagné comme ça une ou deux minutes. Sachant que chaque minute semble bien durer ici deux ou trois heures, j'en ai presque économisé un après-midi complet. On se console comme on peut.

Quand toutes les larmes ont été pleurées, quand le mot fin qui n'a jamais été aussi attendu se pose après une phrase sadiquement interminable on retrouve sa liberté avec le soulagement mystique du naufragé qui pose un pied tremblotant sur la terre ferme et on savoure chaque petite goulée d'air qui vous donne l'impression d'être vivant, de nouveau, enfin.
Torpenn
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le 23 mars 2014

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Torpenn

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