Il paraîtrait qu'un film ne puisse être qualifié d'universel sans que son discours soit en capacité de toucher profondément non pas un public en particulier, mais au contraire la masse publique.
Cette conception des choses est une terrible ânerie, et Marienbad le prouve.

Resnais, ici, inverse la logique : Ce n'est plus la force du propos qui tends à l'universel, mais son caractère embryonnaire, sa quasi-absence en somme, ce refus de mettre l'oeuvre au service d'autre chose que de sa propre fulgurance esthétique et émotionnelle. Tout cela mène à un formidable paradoxe : le nouveau roman et ses codes tels qu'établis par Robe-Grillet, si imbuvables à mes yeux en littérature, se trouvent intégralement justifiés, et même sublimés, une fois intégrés aux contraintes spécifiques à l'image. Etrangement, le nouveau roman trouve sa puissance non pas par le Roman comme il l'espérait, mais par le cinéma, qui se révèle finalement bien plus adapté à sa nature profondément libre et affranchie de contraintes narratives que la littérature.

A lire, Robe-Grillet est insupportable, et pourtant... Une fois ses obsessions contemplées à travers les yeux de Resnais, sublimées par sa mise en scène, on se prend à penser qu'il y a du génie dans ces phrases lancinantes, répétitives, dans cette mise en abîme permanente d'une nostalgie intemporelle, dans cette illustration des défauts de la mémoire que l'on possède et des qualités de celle que l'on se crée.
Et l'on entre, presque sans s'en apercevoir, dans la spirale d'un rêve qui semble empreint d'un millier de sens, et qui pourtant ne nous dit et ne nous impose jamais rien : Le message, ici, est charnel et sensoriel, et on ne peut se risquer à l'intérpréter d'une seule, de deux, de trois ou même de dix manières. Le message ici, demeure, pour paraphraser Pascal, "au delà de l'eau", au delà de tout, et surtout au delà du spectateur qui n'en demandait pas tant; et qui découvre qu'il peut ressentir et comprendre, profondément comprendre, sans pour autant poser le doigt sur ce qu'il comprends et dire : "Laissez moi vous expliquer ma pensée en trois parties et deux sous parties".

Est-ce du à la splendeur de l'hôtel, à ces visages qui parlent tant sans ne jamais dire quoi que ce soit, au contraste parfait du noir et blanc, à l'époustouflante modernité formelle de l'ensemble, à la virtuosité de ce souffle mélancolique ininterrompu par les longs travelling contemplatifs de Resnais ? Pas seulement. Il y à la, comme je l'évoquais au début de cette critique, un film universel.
Pas universel "pour tous".
Pas "humainement" universel.

Mais universel par les sentiments même qu'il provoque, universel pour ceux qu'il vise sans savoir qu'il les vise, et qui ne savent pas non plus qu'ils sont visés par lui; universel car en le voyant, j'ai senti des milliers d'yeux le regarder avec moi, et ces yeux partageaient mon hypnose, a des kilomètres à la ronde

Universel, donc, car véritablement unique.
-Absalon
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le 20 déc. 2013

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-Absalon

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