Kubo et l'Armure magique
7.3
Kubo et l'Armure magique

Long-métrage d'animation de Travis Knight (2016)

Je vais vous raconter une histoire.


Parfois, quand je vais au cinéma, j'éprouve comme un pincement au coeur, dont le rythme s'accélère imperceptiblement. Comme une sorte d'appréhension, de légère tension. Je ressens cela quand j'attends beaucoup du film, que je l'espère depuis longtemps, tout en essayant de préserver un peu de son mystère, pour que la projection m'entraîne dans un autre univers et m'emporte. Quand cette envie, quand ce sentiment m'auront quitté, sûr que j'arrêterai le cinéma. Certain.


J'ai éprouvé cette appréhension juste avant Kubo et l'Armure Magique, quand la dernière bande annonce que proposait le Cinémovida, celle de Ma vie de Courgette, s'animait. L'attente allait prendre fin. Pour le meilleur, je l'espérais. Puis les lumières sont tombées, et le logo Universal se projetait. La séance commence, le nom de Laïka se dessine en papier plié. La magie opère. Comme celle déployée par ce jeune garçon qui anime les belles histoires qu'il conte en donnant vie à des origamis, accompagnés des notes charmantes et cristallines de sa shamisen.


Cette magie, c'est aussi celle des animateurs qui insufflent la vie à leur créatures de plasticine et d'armatures métalliques, dont investit le corps inerte par le mouvement. Cette magie imprègne l'oeuvre entière, ancrée dans une culture orientale faite de mythes, de légendes et de malédictions familiales. Kubo et l'Armure Magique est une quête initiatique qui peut sembler classique au premier abord, certes. Mais la magie opère, car les artisans du studio Laïka porte leur dernier effort au delà de cette apparence, alors même que le motif de l'oeil et de sa symbolique devient presque omniprésent.


Ainsi, le film transcende assez rapidement sa condition de "simple" film à destination des enfants et porte sa réflexion sur des thématiques liées à l'héritage, à la mémoire, au poids du passé, de la mélancolie qu'il inspire et de la façon dont il fait avancer jusqu'au terme de sa propre histoire, celle que l'on (se) raconte et dans laquelle, finalement, on s'accomplit. Pourtant, les histoires que les personnages entament, dans Kubo, se terminent invariablement en points de suspension, malicieux quand le jeune héros tient son audience fascinée en haleine, ou teintés de regrets. Laïka parle aussi de l'art de la narration qu'il convoque et utilise à la perfection, en alternant l'intime qui anime son petit garçon borgne et la magie de scènes habitées d'un supplément d'âme, qu'elles fassent intervenir des monstres fabuleux ou de simples feuilles de papier protéiformes. Au point d'en oublier totalement que ce qui défile devant les yeux est un film d'animation en stop motion.


Kubo et l'Armure Magique enchaîne les scènes superbes et les morceaux de bravoure avec un sentiment de simplicité qui déconcerte et ébahit, se permettant des plans d'une fluidité et d'un spectaculaire digne d'un film live. Sa beauté plastique et artistique enchante, l'essence orientale du projet n'y étant pas pour rien. Mais surtout, le film de Travis Knight est touchant, sincère et animé de vrais sentiments, de ceux qui arrachent quelques larmiches ou serrent la gorge pendant quelques secondes fugitives.


Ainsi pourrait finir cette histoire.


Mais j'ai aussi ressenti un pincement au coeur. Celui de voir que Kubo et l'Armure Magique s'animait et déployait sa poésie émouvante devant une salle vide, et que seulement trois autres personnes avaient payé leur place pour ce moment enchanteur.


J'ai ressenti un pincement au coeur, en pensant que l'amour et le travail acharné de centaines d'animateurs n'étaient pas payés de retour. Et mon coeur s'est serré à l'idée que l'héritage n'était plus porté, que des Coraline, des Boxtrolls ou des Etrange Pouvoir de Norman, pourraient ne plus voir le jour puisqu'ils soulevaient l'enthousiasme de salles désertes.


Et mon coeur s'est serré un peu plus encore quand j'ai pensé que 2016 ne retiendrait au bout du compte, en matière d'animation, que certains succès mesurés au nombre d'entrées, comme Zootopie ou Comme des Bêtes, qui, aussi sympathiques puissent-ils être, sont très loin d'être aussi magiques, aussi ambitieux, aussi incarnés.


Voici comment se termine cette histoire.


Behind_the_Mask, flying papers.

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9
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le 21 sept. 2016

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