Kingdom of Heaven s’ouvre en hiver et se clôt sur la reverdie, dans un même lieu, soit la forge de Balian (interprété par Orlando Bloom) que le voyage en Terre sainte soulagera de son douloureux veuvage ainsi que de son sentiment de culpabilité initial. C’est dire que la croisade sert une trajectoire identitaire et spirituelle qui, au lieu de conforter le christianisme revendiqué par les étendards, orchestre le match nul des religions. Jérusalem apparaît comme une mémoire architecturale qui tire sa sacralité des différentes couches de cultes et de cultures que couvre son sol : ce n’est pas un hasard si l’arrivée de Balian dans le domaine de son père déclenche l’irrigation de la terre sèche, tel un sang venu ressusciter les strates du passé.


Ridley Scott sépare ainsi la spiritualité, matière de l’esprit et du cœur, accessible à chacun – il faut « un royaume de la conscience ou ce n’est rien » –, de la propriété foncière qu’il s’agit de défendre comme un bien de consommation. « Sur cette terre, aucun n’est légitime, tous le sont », s’écrient Ibelin puis, un sourire aux lèvres, Saladin ; les deux adversaires communient dans la spiritualité, tous deux chefs de guerre raisonnés et modérés. Une fois encore, le cinéaste peint la religion institutionnalisée à la manière d’un corps lâche, dégénéré et hypocrite qui s’aveugle à la lumière de sa propre puissance, puissance qui n’est que chimère tant elle résulte de la conjonction de paramètres et de l’application de lois humaines ineptes.


Scott compose une série de grotesques : Renaud de Châtillon (Brendan Gleeson) et Guy de Lusignan (Marton Csokas) sont des brutes assoiffées de combats, desquels ils tirent leur prestige et leurs titres. Leur monstruosité s’avère explicitée par Renaud qui, spectateur d’un massacre qu’il vient d’ordonner, dit « je suis ce que je suis, je fais ce pour quoi je suis fait ». Ce propos est digne d’intérêt en ce qu’il défend une logique condamnée par le cinéaste par le biais de Balian : la logique chimérique d’une transcendance divine, prétexte qu’utilisent les hommes pour détruire et assouvir leurs passions. À cette logique erronée, il en oppose une autre, existentialiste, qui veut que « l’existence précède l’essence » et rende l’individu seul responsable de ses actes, comme l’exprime le chevalier à la fin du film (« je suis le seul gardien de mon âme ») et comme l’exprimait déjà Imad avant l’ultime bataille (« ce qu’on sème, on le récolte »). Seul l’existentialisme permet d’accéder, selon Scott, à la vérité, terme qui revient dans nombre de ses œuvres et qui s’applique constamment à la défense des plus faibles, à la prise en charge des plus démunis : l’infirmière de Body of Lies (2008), les cultivateurs de Robin Hood (2010), les frères d’arme sous le feu de l’ennemi dans Black Hawk Down (2001).


Il n’y a donc pas de « chemin vers le Ciel », promis au début contre l’extermination des païens – « tuer les infidèles n’est pas un meurtre mais un chemin vers le ciel » – , sinon un chemin creusé le long des bosquets qu’emprunte à terme le couple raccordé à la simplicité de la terre et du travail. La reine, comme toujours chez Scott, a été sacrifiée sur le plateau de l’échiquier : elle a laissé sa couronne et sa fausse supériorité pour vivre aux côtés d’un maître véritable, un « maître-forgeron ». Un immense long métrage, magistralement mis en scène par Ridley Scott.

Fêtons_le_cinéma
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le 23 avr. 2021

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