King of the Ants
6.5
King of the Ants

Film DTV (direct-to-video) de Stuart Gordon (2003)

Qui connaît un minimum la filmographie de Stuart Gordon sait à quel point l'homme est un passionné de fantastique et d'horreur. Son amour inconditionnel pour l'oeuvre de Lovecraft lui aura permis de livrer deux authentiques classiques du cinéma horrifique des années 80, Re-animator et From Beyond, dont les débordements visuels auront marqué durablement les cinéphages avides de visions grotesques et traumatisantes. Ne s'arrêtant pas en si bon chemin et ne reniant jamais sa passion pour l'imaginaire du Maître de Providence, Gordon aura livré durant les années 90 une série de modestes films de genre et quelques adaptations (plus ou moins fidèles) du mythe de Cthulhu dont l'ampleur du propos s'accordait parfois difficilement avec les faibles moyens dont disposait le réalisateur.


Quelques péloches méconnues et un infarctus plus tard, Gordon entama subitement un étrange et imprévisible revirement stylistique. Ainsi, tout comme celle de David Cronenberg, la filmographie de Stuart Gordon a, depuis le début du millénaire, pris un tournant radicalement plus réaliste, le cinéaste ayant à coeur de se consacrer à la description d'une horreur plus psychologique et évidemment bien moins graphique que ses oeuvres antérieures. King of the Ants est ainsi le premier film d'un triptyque consacré à ce sous-genre qu'est l'horreur sociale et dont les oeuvres s'en réclamant prennent généralement pour thème principal la lutte des classes tout en en exacerbant les enjeux et ce, de manière parfois grotesque.


Adaptation du roman éponyme de Charles Higson, King of the Ants prend pour protagoniste Sean, un brave jeune homme candide et débonnaire qui, toujours en quête de petits boulots, se voit pressé d'accepter l'offre d'un entrepreneur douteux qui, en échange d'une forte somme d'argent, lui demande de régler son compte à un brave comptable ayant mis le nez dans ses affaires. Sean refuse dans un premier temps puis, quelques lignes de dialogues plus tard, accepte finalement la tâche et ce, malgré son manque d'expérience homicide. Une fois le meurtre (difficilement) accompli, il subtilise les documents compromettant son employeur lequel ne tarde d'ailleurs pas à se retourner contre lui, prêt à tout pour récupérer les preuves de ses méfaits.


Pourvu d'un budget dérisoire et filmé dans des conditions quasi-amateurs (certains plans en caméra portée semblent filmés au caméscope) ce King of the Ants n'en demeure pas moins une surprenante réussite décrivant en détail le calvaire et la lente métamorphose morale d'un jeune homme fondamentalement bon en authentique monstre homicide, et tout cela en seulement 90 petites minutes. Un tour de force narratif improbable que Stuart Gordon réussit pourtant à mettre en scène et ce malgré les contraintes d'un budget limité. Filmant au plus près de ses personnages, sa réalisation exploite la banalité de son cadre pour mieux mettre en valeur l'ambiguïté morale de son protagoniste. Un petit prolo qui au départ ne possède rien, voire n'est lui-même rien. Désespérément creux, serviable et débonnaire, il devient la victime toute désignée de patrons sans scrupules qui en véritables mafieux abusent de sa naïveté et lui infligent un traitement des plus horribles et inhumains. De ce trauma résulte la déchéance du jeune homme qui, fuyant ses bourreaux, se retrouve à errer désespérément dans les rues jusqu'à être secouru de manière inespérée. La résurrection du jeune homme s'accomplit tout d'abord dans l'illusion d'un bonheur conjugal avant de plonger dans un climax vengeur des plus radical et percutant.
C'est bien simple, à voir le début du film, on n'aurait jamais songé qu'il prenne une telle direction dramatique et puisse se terminer ainsi.


Ainsi, King of the Ants constitue à ce jour l'un des meilleurs films de son réalisateur, et ce même si la qualité formelle de l'ensemble pâtit parfois des faibles moyens alloués par la production. Car les qualités principales de ce film ne sont pas tant dans sa forme que dans son propos et dans l'étude des différentes phases par lesquelles passe son protagoniste. Certes, le personnage n'inspire rien de particulier au départ tant il semble dénué de toute personnalité. Cela pourrait être vu comme rédhibitoire si l'on ne considère pas ce point comme indispensable à l'évolution que Gordon se propose de filmer et d'étudier. Ainsi, l'intrigue ne fait que décrire les répercussions de la violence sur un individu au départ dénué de toute agressivité (voire de personnalité). Le réalisateur pousse ainsi le spectateur à s'identifier à un protagoniste en plein conflit moral, victime de sa naïveté et de ses propres choix, et dont le calvaire traumatisant aboutit à une métamorphose radicale et surprenante.


Parce qu'il n'a jamais été maître de son destin et qu'il a toujours servi les intérêts des autres (de la fourmilière) sans jamais se remettre en question, le protagoniste n'aura été que la victime d'un système injuste et inégal. En prenant pleinement conscience de son ascendance sur ses anciens employeurs et bourreaux, le héros devient enfin maître de sa propre destinée ainsi que de celle des autres. Cela aboutit en fin de compte à la naissance d'un véritable sociopathe criminel, pour qui les repères moraux et les valeurs humaines n'ont plus le moindre sens dès lors qu'il s'en réfère à sa propre expérience de martyr.


King of the Ants s'impose alors comme un formidable uppercut cinématographique dont la densité du propos rattrape aisément les quelques faiblesses formelles et narratives. Un jalon majeur de l'horreur sociale et la première étape de la métamorphose stylistique de son réalisateur. A (re)découvrir absolument.

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le 1 déc. 2014

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Buddy_Noone

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