Le résumé ne donne aucune idée de ce qu’est vraiment Kairo, et les reproches qu’on peut lui faire ne donneront aucune idée de ce qu’on lui reproche au fond. C’est une œuvre antipathique qui plonge directement au cœur de notre peur ultime, sans passer par les conventions qui rassurent, le récit qui divertit, le formalisme qui séduit. La mort ? Non, pire : la prescience d’être déjà mort.


Les personnages, qui ne sont personne, ne se touchent pas non plus, comme s'ils n'avaient ni libido ni corps. Ils échangent des répliques purement phatiques, destinées à s’assurer de la présence de l’autre. Ou ils disent des choses essentielles, et l’essentiel passe inaperçu.


Ils jouent à cache-cache avec les absents et les fantômes. Parfois ils les attrapent, et cela ne change rien. Ils créent des interdits et les craignent, sous forme de ruban adhésif rouge. Parfois ils les arrachent ou les franchissent, et cela ne change rien. Ils veulent être éternels, puis ils fuient, ou plutôt ils errent à travers des déserts urbains comme des âmes en peine, et bien sûr cela ne change rien.


Tout le long du film, dans des cadres éclatés et fragmentés, professionnels, publics, privés ou universitaires, mais qui ramènent toujours au black mirror de l’ordinateur qui symbolise leur solitude, inexorablement, ils se dissolvent et se désintègrent jusqu’au point où, d’une façon ou d’une autre, ils sont acculés à leur condition spectrale. Alors, ils se suicident, disparaissent ou s'évaporent (ici, ce sont des équivalences).


Déconstruit et n'ayant pour tout vrai fil conducteur que l'isolement et l'effacement, ce film où il n'y a que des fantômes et des vivants qui sont des fantômes n'est peut-être pas le plus accessible de Kurosawa, ni son plus beau, ni même peut-être son plus réussi, mais c’est sûrement son plus intransigeant.


Un film d’horreur qui ne triche pas avec l’horreur, qui réduit au minimum la part de plaisir qu’on demande toujours à ce type de spectacle. C’est rare. Mais c’est surtout horrible.


Libre à vous de penser que seuls les Japonais sont concernés.

OrangeApple
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films d'horreur et Les meilleurs films de fantôme

Créée

le 18 sept. 2017

Critique lue 743 fois

8 j'aime

1 commentaire

OrangeApple

Écrit par

Critique lue 743 fois

8
1

D'autres avis sur Kaïro

Kaïro
real_folk_blues
6

"T'as skeaté. T'as skeaté...! T'as skeaté! T'AS SKEATÉ!!!"

Kaïro souffre d'autant de défauts qu'il possède de qualités. Si la thématique du paradoxe de l'isolement de l'individu face au développement d'outils de communication ouvrant tout un chacun au monde...

le 26 mars 2012

28 j'aime

25

Kaïro
Psycox
8

Ta vie ne tient qu'à un fil ? Vas-y attrape, c'est du scotch, ça devrait suffire !

(Avant-propos: Cette critique est sponsorisée par Pattex) Tokyo, années 2000. Alors qu'internet commence à devenir populaire et que des écrans apparaissent tout autour de nous, permettant ainsi de...

le 17 mars 2016

19 j'aime

11

Kaïro
Shania_Wolf
9

Orchestre vide

Kaïro est tourné en 2000. L'année est celle de l'arrivée de l'ADSL au Japon. L'époque où les connexions internet se font progressivement une place dans les foyers, sans être encore apprivoisées par...

le 15 juin 2021

14 j'aime

2

Du même critique

Whiplash
OrangeApple
9

Le sens du martyre

(Attention, SPOILS en nombre vers la fin – inséparables de l’analyse) Terence Fletcher, c’est l’anti-John Keating. Il n’encourage pas l'épanouissement des personnalités, il les rabaisse, il...

le 17 mars 2017

36 j'aime

10

Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band
OrangeApple
10

Ceci n’est pas une critique

When I was younger, so much younger than today, ma cousine, cinéphile distinguée mais pas vraiment versée dans l’art musical, m’a emmené voir Help !, le film. J’ai ri comme un bossu sans vraiment...

le 4 oct. 2016

29 j'aime

7

Easy Rider
OrangeApple
4

Darwinisme

S’il y a bien un argument que je trouve idiot et dont je n’use jamais contre une œuvre, c’est : « Elle a vieilli ». Elle est bien ou elle est pas bien, je l’aime ou je l’aime pas, si qu’on s’en fout...

le 3 sept. 2017

23 j'aime

14