Kadaver
4.8
Kadaver

Film de Jarand Breian Herdal (2020)

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Fan incontestée de films d'Horreur depuis mon adolescence, je suis souvent déçue par les dernières sorties du genre. A part quelques petites trouvailles par ci par là, j'avoue que je commence à me lasser du genre qui ne propose plus vraiment de quoi se mettre sous la dent.


L'Horreur est bien, à mon sens, le genre le plus ardu à satisfaire car il est -presque trop- facile de tomber dans le cliché, le vulgaire ou le ridicule seulement à cause d'un tout petit élément : personnage mal joué, caricatural (bonjour blondie aux gros boobs!) scénario trop bâclé ou trop revisité (la poupée tueuse, le cas de possession, le tueur en série, l'apocalypse zombie etc.) , explications absentes ou tirées par les cheveux, rythme trop lent ou trop cadencé ...


Un seul petit défaut fait indéniablement retomber la pâte et adieu les frissons, bonjour le navet !


On peut en effet plus aisément trouver 'sympa" une comédie un peu médiocre, un film d'amour trop arrosé de bleuets, mais que dire d'un film d'Horreur pourri si ce n'est qu'on a perdu son temps ? L'Horreur est un examen sans appel pour les cancres du cinéma.


Pour réussir un film d'Horreur, de véritable Horreur, il faut donc avoir un petit "quelque chose en plus" qui fait la différence pour que la magie opère et saisisse le spectacteur : soit avoir une virtuosité hors norme dans l'art de raconter une histoire (Polanski-Rose Mary's baby, Hitchcock- Psychose; Kubrick - Shining), soit avec une intrigue innovante (Spielberg-Les dents de la Mer, Cronenberg-La Mouche, Saw...), des acteurs au top ou encore tout miser sur d'autres émotions que l'effroi, parfois l'humour (Evil Dead, les Romero...), l'émerveillement esthétique (Mindsommar, the witch...) , ce qui n'est diantrement pas donné à tout le monde.


Alors oui, beaucoup d'appelés, peu d'élus, le spectateur d'Horreur reste très souvent sur sa faim et peut être prompt à critiquer la moindre entourloupe.


Cependant, quelques films, à mon sens, arrivent à tirer leur épingle du jeu. Ce sont généralement des films indépendants, à petit budget, qui n'ont certes pas un grand réalisateur derrière la caméra, pas tous les effets spéciaux dont ils auraient peut être eu besoin pour s'accomplir réellement, mais qui parviennent, par leurs tentatives de se distinguer, de proposer "autre chose" que le film d'Horreur américain typique, à créer quelque chose de "pas mal", presque digne des têtes de Palmarès que je viens de citer s'il n'y avait eu "quelques défauts" pour les rendre moins grandioses. Il n'y a pas que les chefs-d'œuvre qui ont le droit au chapitre ! Kadaver fait parti, selon moi, de ces quelques pierres semi-précieuses qui valent quand même le détour.


Si la réalisation en terme de rythme et de soubresauts n'a pas rien à envier (ou mieux dit, a tout pompé) à la Maison de Cire ou autres films de ce type, (disparitions, cris, "suspens", scène de torture, sang, disparition etc.) on y trouvera en revanche une certaine recherche dans les couleurs, les formes, l'architecture et les costumes inspirée des Natures Mortes/Vanités du 16ème siècle qui est assez plaisante et malsaine à regarder. Cette inspiration n'est certes pas nouvelle, mais couplée à la langue norvégienne, à la lenteur des plans -notamment les portraits/gros plans-, cela donne à mon sens un charme particulier qui par moment m'a envoûtée.


Le concept, en outre, est très intéressant. Il s'agit d'un huis clos "théâtral" où règne presque jusqu'au bout un doute sur ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas dans le récit. Les acteurs sont convaincants (sauf la petite fille qui à mon sens n'a été choisie dans le casting que pour son physique étrange, lunaire...), les éléments bien amenés, peu à peu dévoilés même si j'ai regretté l'intrusion de paranormal (hallucinations inexpliquées) dans le récit qui rendent le tout un peu grotesque.


Certains diront que "c'était cousu de fil blanc" et oui, moi aussi, dès les dix premières minutes, j'ai compris ce qui se passait vraiment. (Une autre fin aurait d'ailleurs été bienvenue pour vraiment créer une surprise j'imagine...)Cependant, j'imagine qu'on devient un peu blasés quand on regarde beaucoup de films d'Horreur...et il n'est plus si facile de nous surprendre. Aussi, je laisse à ceux qui ne sont pas habitués au genre, le droit d'être "portés" par certains coups de théâtre.


Pour finir, ce film a une vision de l'Etre Humain et de l'Horreur que j'apprécie beaucoup car je la trouve pertinente : l'être humain n'est pas mauvais intrinsèquement comme le voudraient certains récits qui dépeignent de façon manichéenne des monstres de naissance tels que Jack L'Eventreur ou Mister Hyde.. Non, l'être humain est surtout lâche et quand il est sans repères, désespéré, il devient en effet pire qu'un monstre. De là, l'Apocalypse (guerre nucléaire, attaque de zombies) n'est pas véritablement le sujet d'un film d'Horreur, c'est plutôt ce que cette Apocalypse fera de nous, pauvres lâches, dans ces conditions de terreur. Il s'agit d'une thèse presque Célinienne. (Voyez les soldats comme ils se comportent en temps de guerre, loin du regard policé de la civilisation...)


Et de fait, ce film est original pour ce parti pris. Dans la plupart des films d'Horreur, le "méchant" est soit un psychopathe, soit une entité, soit un groupe de méchantes gens qui se différencient du ou des héros. Ces "méchants" sont essentiellement mauvais : ils torturent, humilient, jouent des tours, sans aucune autre raison que de faire parfaitement le Mal. Cette bêtise du Mal est ce qui crée l'Effroi car on le sent implacable et aveugle. Il s'agit donc dans la plupart des films d'opposer le Mal à un ou des personnages auxquels les spectateurs peuvent s'identifier.


Or, tout en jonglant avec plus ou moins de nuances avec tous les clichés du genre, ce film nous laisse percevoir une vision de l'Humanité tout en cynisme et en désespoir : l'être humain, derrière son masque d'être civilisé, est un loup, un terrible animal, prêt à n'importe quoi pour satisfaire ses besoins, ses névroses ou ses plaisirs. Ce film ne propose pas en effet une vision du Mal mais montre que le Mal est l'Homme.


Tous les personnages semblent en effet offusqués à la fin du film en voyant l'inavouable...pourtant, on s'en doute, ils savaient ce qui se tramait. Il fallait cependant que quelqu'un fasse tomber littéralement le masque pour les forcer à avouer ce qui se passait vraiment dans l'enceinte de ce théâtre. Le film nous invite donc à questionner notre hypocrisie vis à vis de la morale : est-on vraiment des gens bien ? a quoi serions nous prêts pour survivre ? Sur quoi repose notre humanité ?


Bien-sûr, il aurait peut être fallu un génie pour poser avec brio cette question voire y répondre, comme il aurait fallu quelqu'un qui sache écrire pour défendre ce film, cependant, voilà, je trouve l'ensemble des critiques relativement injustes vis à vis de ce film ainsi que la note qu'on lui accorde sur senscritique.


J'aime quand on essaie, quand on s'engage, et pour moi, ce film mériterait qu'on accorder une certaine bienveillance. N'est-ce pas injuste de voir que le film Chair de Poule avec Jack Black obtient une meilleure note que celui-ci, alors que les conditions et les aspirations sont si différentes ? Ne peut on pas, pour une fois, ne pas juger la technique, les effets d'esbrouffe, le superficiel pour essayer de noter un film sur ce qu'il défend véritablement ?
Enfin, pourquoi pas?

Mouchni
7
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le 26 oct. 2020

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Soso la bricole

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