Avant toute chose il faut préciser que ma note est d'une mauvaise foi absolue. Le film ne vaut quasiment rien cinématographiquement. Disons que c'est une critique qui va éviter l'éloge comme la condescendance. Et si je me suis quand même un peu marré, j'ai surtout trouvé le film assez intéressant pour ce qu'il dit sur le cas Alexandre Astier et sur notre époque.


Alexandre Astier est gosse de deux comédiens sortis tant bien que mal de leur milieu ouvrier (d'autant plus pour la mère issue de l'immigration italienne). Il grandit dans la pauvreté, mais sa mère bien décidée à ce qu'il s'en sorte mieux fait moult sacrifices pour l'envoyer au conservatoire. Il se tappe donc de la musique pendant 15 ans et acquiert une certaine culture classique, notamment en musique et en littérature (surtout le théâtre). Dans le même temps son milieu social, l'époque dans laquelle il grandit (en plein nouvel Hollywood, son premier grand souvenir de ciné étant "Les dents de la mer") l'imprègne de ce qu'on nommera la culture "geek". Ce tiraillement entre culture bourgeoise et culture populaire se ressent tout au long de son oeuvre.


Ce qui fait qu'à sa diffusion entre 2005 et 2009, kaamelott a été aussi bien apprécié par le grand public que dans les sphères intellectuelles. Et là les problèmes commencent.
Astier est issu d'une génération où les geeks étaient méprisés, où il a fallut monter aux crémeaux pour faire reconnaitre la qualité de certaines oeuvres populaires. A cette époque la culture geek avait une valeur de contre culture (jusqu'au début des années 2000 "geek" était une insulte). Mais aujourd'hui ce n'est plus le cas. Tolkien est considéré comme un grand écrivain, les cahiers du cinéma aiment "Pacific Rim" et "Edge of tomorrow", jouer à des jeux vidéos ou des jeux de rôles n'est plus synonyme de beauferie... bref, plus vraiment de combat à mener. Astier le dit lui même dans une interview, "aujourd'hui la culture geek n'a plus à être défendue, il faut faire attention de ne pas tomber dans un combat manichéen avec la culture classique".


Sauf qu'au contraire, les nouvelles générations ont précisément adoptées cet état d'esprit médiocre qu'Astier prévient. D'autant plus avec internet où n'importe qui peut donner son avis sur tout sans y connaitre quoi que ce soit (et il suffit qu'il soit un peu populaire pour mettre des choses fausses dans la tête des gens). On est tombé dans le "tout se vaut, chacun ses goûts, la qualité et la médiocrité n'existent pas". Il n'y a qu'à voir le nombre de beaufs sur internet qui prétendent qu'on se cultive autant avec les tortues ninja que Proust ou Céline. Tout cela fait le bonheur de la droite et de la société de consommation, plus rien n'encourage les classes populaires à s'élever, à acquiérir la culture classique que les bourgeois s'approprient. Cela favorise aussi un maximum de mépris de classe sur "ces bouseux vulgaires, incultes et feignants".


Je ne pense pas qu'Astier en fasse partie. Mais kaamelott a été emportée par ce raz de marée. Des communautés fanatisées insupportables et intolérantes, des beaufs qui croient qu'ils n'en sont pas, des élites autoproclamées du bon goût... Ils considèrent Astier comme un génie. Flingués par la société du spectacle ils sont persuadés que "le cinéma d'auteur français c'est de la merde chiante, Astier va tout sauver !".
Il semble qu'Astier, touché de plaire aux classes populaires dont il est issu, se soit attaché à leur livrer sincèrement l'histoire qu'il a envie de raconter au mépris du médium artistique présent, à savoir le cinéma.


Depuis 1984 et l'apparition des chaînes privées, l'esthétique, les références cinématographiques ont peu à peu disparues du langage commun populaire et ont été remplacées par l'esthétique télévisuelle. Aujourd'hui le grand cinéma français (Dumont, Kechiche, Denis, Desplechin, Sciamma, Letourneur, Guiraudie...), le grand public ne va pas le voir. Les films populaires actuels faisant beaucoup d'entrées (français comme étrangers, à commencer par les Marvel) ne dialogues plus du tout avec l'histoire du cinéma mais cherchent à plaire à un public nourrit à la télévision et aux vidéos internet.


Il semble que la volonté d'Astier de parler au large public ne l'ai pas encouragé à approfondir sur la mise en scène, sur l'apparence cinématographique qu'il aurait dû donner à son film. Qui plus est il a été éduqué à l'oreille, pas à l'oeuil. Il connait l'art de la musique ainsi que la musicalité de la langue parlée, mais pas le langage des images. Ce que je lui repproche c'est de sous-estimer le cinéma en le considérant comme un véhicule pour l'art d'un bon dialoguiste et de bons acteurs. Or si c'est le cas de la série ça ne peut l'être d'un film.
Ce qu'il y avait d'intéressant dans la série c'est qu'à une heure de très grande écoute elle sortait de l'informité de la télévision pour proposer quelque chose qui dialogue avec l'histoire de l'art, avec une grande tradition théâtrale, le tout appuyé par des comédiens chevronnés, rompus à la tâche, inconnus et pittoresques. Astier a créé un monde singulier et personnel. Au cinéma ça aurait pu aussi fonctionner, avec de la mise en scène.


Et ça explique le résultat. Les moments qui fonctionne le mieux sont ceux qui prennent leur temps (le sauvetage de Gueunièvre) parce que c'est précisément ce qui faisait fonctionner la série. Les personnages étaient tellement étoffés et le récit était si fluide que l'intérêt ne démordait pas . Ce qui faisait marcher la comédie comme le drame était précisément le temps mort, étiré. Ici tout va trop vite, le montage est indigeste et aucun personnage n'est bien développé, ce qui est particulièrement problématique pour les nouveaux. L'action est nulle, certains moments sont illisibles, trop rapides, alors qu'on est sensé prendre cet univers et les enjeux au sérieux, prendre la comédie au sérieux. C'est même tout le propos d'Astier. Et ça ne fonctionne pas à cause du rythme précipité et parce qu'à nouveau ça ne cherche pas à avoir une apparence cinématographique. Dans les dernières saisons les enjeux étaient pris très au sérieux malgré la comédie, ici tout semble être une vaste blague.


Les plans séquence sont trop rapides, aucune recherche dans les décors, la caméra n'est jamais placée à la bonne distance, Astier semble ne pas savoir gérer des décors vastes. Ce qui lui fait rater des choses aussi basiques que des champs contre champs. Le développement d'Arthur est très bizarre, Lancelot n'est pas menaçant, Yvain, le maître d'armes et Anna sont absents, le traitement du père Blaise est inexplicable. On ne sait pas à quoi servent les flashback (on sait qu'Arthur a déjà tué à la guerre quand il était roi).


Certains disent "ce sera résolut dans les suites, c'est pour les fans"... mais quelle triste façon de parler d'un film, d'une oeuvre d'art. Au cinéma c'est la mise en scène qui fait qu'une oeuvre est intéressante. Ici ce n'est pas le cas. Et je passe sur le marketing d'un mauvais goût absolu.


C'est vraiment dommage, il y a de bons dialogues, les comédiens s'éclatent, les musiques sont belles, la photo aussi, le début est intriguant, Astier est très sincère. Il a prouvé avec ses spectacles qu'il est capable de faire autre chose que "du kaamelott". "David et madame Hansen" montrait une envie de bien faire, de même pour les "Astérix" qui bien que trop sages sont soucieux de donner au public un spectacle de qualité. Il aurait fallut conserver le rythme des saisons 5 et 6, prendre les enjeux au sérieux en donnant de l'importance à l'action, avec de la mise en scène, avec du cinéma absent du film. J'espère qu'Astier tiendra compte de ses erreurs dans les suites, qu'il se posera enfin des questions de mise en scène.


Alexandre Astier, je vous aime beaucoup. J'ai découvert Kaamelott gosse. Je n'ai pas suivi de fanbase, ma génération était plus branchée What the Cut et Kev Adams. J'avais un rapport solitaire à kaamelott, c'était mon truc dans mon monde. Ce n'est qu'en grandissant et en cotoyant d'autres générations que j'ai découvert que je n'était pas le seul, qu'il y avait toute une hype populaire (insupportable il faut bien le dire) ainsi que des études très sérieuses autour de kaamelott.
Mais gosse, cette légende, votre univers c'était si singulier il fallait que j'en sache plus. Ce qui m'a fait lire Chrétien de Troyes (puis plein d'auteurs arthuriens du Vème au XXIème siècle), Aristote, Barthes, découvrir Woody Allen, Audiard et par lui lire Céline, découvrir Prévert et le réalisme poétique, la nouvelle vague et tout le cinéma. Vous êtes la porte d'entrée de toute ma culture artistique, et c'est cette même culture qui m'empêche d'apprécier ce que vous proposez ce mois de juillet 2021.


Mais je n'oublie pas ce que je vous dois et j'attend toujours la suite.

grisbi54
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le 22 juil. 2021

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grisbi54

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