Qui va le plus vite entre Flash et Superman?

Pourquoi un film ne nous plait-il pas ? Cette question en amène souvent d’autres : sur quels critères fondons-nous nos jugements de goût ? Sont-ils pertinents, fondés en raison ? Dans le cas de Justice League, c’est celui des déséquilibres internes à l’œuvre que je retiens pour juger de la non-conformité, du décalage dans le film entre ses promesses, le programme qu’il annonce dans un premier temps, et l’expérience qu’il procure dans un deuxième temps.


La première intention du film est d’avoir voulu réinscrire son récit dans une réalité plus globale, plus complète et étendue. Ainsi, dans la veine de Batman vs Superman, il extrait ses personnages de leur monde pour les faire entrer de pleins pieds dans une réalité plus vaste, qui excède leur champ d’intervention. Dans cette optique, le film montre les conséquences et implications effectives des actes des personnages sur une échelle plus étendue. Par exemple, il met en relation la mort de Superman avec la montée en puissance de l’islamophobie et l’émergence de groupuscules réactionnaires terroristes. En un sens, on peut dire que le film tient compte des répercussions d’une action sur une réalité que les super-héros ne peuvent pas entièrement maîtriser. Cette réalité est à opposer à leur « monde », qui définit l’ancien rapport que les héros entretenaient avec leur environnement.


En effet, habituellement, la trame narrative d’un film de super-héros reprend une structure assez classique qui est celle d’une situation initiale, d’un nœud dramatique qui vient introduire du désordre, du conflit qui en découle, et du retour à l’ordre lors du dénouement. Les films étaient alors les dépositaires d’une vision d’un monde « circulaire » : la conclusion avait pour fonction de ramener l’ensemble à son état d’origine. Ce type de récits, répétés ad vitam eternam, n’a plus court dans ces nouvelles productions qui cherchent à désenclaver les « mondes » de chaque héros pour les faire coexister dans un univers qui les transcende. Pour cette raison, il y a une continuité effective entre chaque film, et les dommages dans l’un ne sont pas sans conséquence sur le suivant. A la logique circulaire succède une logique linéaire, qui ne fait plus du héros le pivot central capable de maintenir l’ordre d’un monde menacé, mais une pièce parmi d’autres au sein d’une réalité plus complexe. Ainsi, le début de Justice League, en montrant comment un évènement survenu dans l’épisode précédent, peut avoir des conséquences sur la réalité et même la civilisation d’un pays voire de la planète entière, donne une importance centrale à la réalité humaine dans toute sa complexité, son imprévisibilité, ses changements perpétuels et difficilement contrôlables.


A ce « surplus » de réalité promis par le film, succède un « surplus » de mythologie qui était censé donner toute sa saveur à l’œuvre. Le film a l’ambition de maintenir sur une même ligne narrative deux couches a priori opposées, l’une réaliste, l’autre mythologique, afin de donner sa densité à cet univers pourvu de croyances, d’une cosmogonie et de mythes fondateurs propres. La première partie du récit fait la part belle à un syncrétisme qui relie des traditions antiques, des légendes médiévales, et introduit une continuité bienvenue entre les Dieux des religions polythéistes, les chevaliers des romans de geste et des légendes arthuriennes, et les super-héros. Cette façon de puiser dans différents imaginaires donne au récit une certaine puissance symbolique : l’histoire peut être perçue comme le passage d’un monde polythéiste avec une pluralité de croyance à un temps de paix (relative) d’inspiration chrétienne (la « Trinité » avec les trois « coffres-mères ») jusqu’au combat final contre un monothéisme apocalyptique (« l’Unité ») opposé au Dieu d’amour incarné, justicier et surpuissant ( Superman).
Pour résumer, la première partie du film promet deux choses. Premièrement, un récit plus « réaliste » en ce qu’il propose un univers plus complexe, sur lequel les héros n’ont que peu de prises, et qui replace l’humain au centre des bouleversements historiques (les attentats, les actes islamophobes, le sentiment de paranoïa consécutif à la perte d’espoir avec la mort de « Dieu », le nihilisme, le désenchantement du monde…) et redonne au Réel toute son épaisseur. Deuxièmement, un film qui se voudra épique, démesuré, comme le suggère le recours à différentes mythologies et à la filiation d’un même sentiment héroïque à travers les âges, les civilisations et les imaginaires. Mais qu’en est-il réellement ?


Et bien le film ne s’avère ni plus complexe, ni plus épique que d’habitude. Ses promesses sont très rapidement déçues. La réalité humaine est totalement repoussée dans le hors-champ : les gouvernements, les humains sont totalement invisibles, ce qui déséquilibre totalement le film en rendant la contextualisation de départ absolument vaine. Par ailleurs, en recentrant son intrigue sur cette « justice league », il fait fi de la logique : face à la démesure de l’affrontement annoncé, la portée mythologique de ce qui s’apprête à advenir, comment justifier cette croyance archaïque que la seule force de cette escouade inexpérimentée suffira ? Le film nous replonge dans cet âge ancien des films de super-héros, que l’on pensait révolu au regard de ses premières minutes. Le Réel est de nouveau écarté au profit d’un repli dans un monde « autiste », où tout se règlera dans une bulle éloignée des réalités humaines. Il ne reste plus qu'un enchaînement d'épisodes vus et revus, de situations extrêmement classiques et rabâchées.


De plus, le souffle épique promis par le film souffre lui-aussi de ce manque d’envergure lors de l’affrontement, puisque personne ne semble concerné par ce qui arrive à l’exception de quelques individus exceptionnels. Il n’y a aucun problème à ce qu’une petite équipe puisse terrasser ce qui avait demandé, des milliers d’années plus tôt, l’alliance de tous les peuples. En conséquence, les scènes d’action n’ont aucune réelle démesure, aucune puissance d’évocation, aucun enjeu, aucun sentiment de menace, de danger. Mais pire que tout, le recours constant à l’humour, loin de renforcer notre empathie pour les personnages, désamorce toute forme de gravité. Il n’y a pas d’apothéose épique, de combats acharnés car, par l’humour, les personnages ne semblent eux-mêmes pas prendre totalement au sérieux ce à quoi ils sont confrontés. A vouloir dédramatiser, alléger en permanence, tout devient bien inconsistant…


Pour finir, je ne pense même pas qu’il soit utile de revenir sur les incohérences du scénario, les dialogues parfois hallucinants qui suivent une scène censée avoir des répercussions considérables (mention spéciale à la conversation entre Aquaman et la princesse après le vol de la boite-mère), les excès de sentimentalité auxquels les personnages ne semblent eux-mêmes plus croire (Clark et Lois, si vous m’entendez…), ou encore la prévisibilité de l’ensemble et l’impression de l’inutilité de cette équipe de super-héros lorsqu’on a Superman dans son camp…
A l’arrivée, le seul enjeu auquel on arrive à croire et qui attise notre curiosité, est celui de savoir qui va le plus vite entre Superman et Flash. Mais est-ce suffisant ?

Sartorious
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le 29 nov. 2017

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