C'est peu dire que le DC Universe (DCU pour les intimes) éprouve des difficultés à se forger une identité propre, qui lui permettrait de se distinguer de son concurrent Marvel. La principale raison à cela est d'ordre financier : les films DC ne rapportent pas assez aux yeux de leurs producteurs, et les retours critiques laissent présager un déclin dont la Warner, maison mère, se passerait bien. Alors, décision a été prise de lisser ce fameux DCU, de l'alléger pour le rendre plus attirant aux yeux du public. Or je pense que cette harmonisation ne va certainement pas dans le bon sens, et l'édifiant ratage que constitue Justice League m'en semble une preuve accablante.


Le motif est connu : devant "un ennemi plus redoutable que jamais" (d'après le pitch SC), différents justiciers se voient dans l'obligation de s'allier pour survivre. Peu m'importe que cette prémisse soit vue et revue, puisqu'à mon sens l'important n'est pas nécessairement l'originalité de l'idée, mais celle dans la manière de la représenter. Le problème ici, c'est que ledit ennemi n'est pas un personnage, et la tranquillité avec laquelle le film l'assume m'a agacé au plus haut point. Pourtant, aucun héros ne peut briller sans un adversaire à la hauteur, car cet adversaire fonctionne comme un révélateur des failles du protagoniste, et nous aide à les comprendre ou à les rejeter. Dans tous les cas, il crée une implication émotionnelle indispensable à la construction d'un enjeu, et d'un sens de l'épique. Dans ce film, l'adversaire est purement et simplement une force destructrice, sans motivation autre que la conquête de la Terre, et sans arme autre qu'une puissance purement physique, qui n'effraie jamais puisqu'elle ne touche que des surhommes qui encaissent les coups sans broncher.


Sans réelle adversité, difficile de lier un groupe aussi hétérogène que la ligue ici présentée : chacun des membres n'est là que parce qu'il n'arrive pas à défaire l'ennemi seul, à l'exception de Flash, malheureusement très mal exploité. La cohésion de la ligue est aussi mise à mal par la rapidité avec laquelle le film expédie les relations entre ses membres, comme par peur d'ennuyer le spectateur. Aucune exploration psychologique ne dépasse le dialogue de deux minutes montre en main, donnant un aspect vraiment forcé à la dynamique du groupe, pour l'unité duquel on ne tremble jamais, tant l'artificialité de l'origine de leur alliance et de leur complicité est criante.


Il me semble vain d'entrer dans un débat concernant la paternité de telle ou telle idée dans le film. Il est en tout cas de notoriété publique qu'il a été ce qu'on a coutume d'appeler un "enfer de développement", plombé par diverses mauvaises nouvelles, au premier chef desquelles un drame familial qui a poussé son réalisateur et scénariste Zack Snyder à quitter le projet. Pour beaucoup il sera tentant d'accuser le pompier Joss Whedon, convoqué d'urgence pour boucler le métrage, du ton explicitement bâtard du film. Je pense personnellement, comme je l'ai écrit plus haut, qu'il s'agit plutôt d'une préoccupation purement pécuniaire qui vient du studio. Mais ce n'est pas l'important : ce qui frappe, c'est la disparition de la noirceur caractéristique de la patte Snyder, qui pour tout ses défauts semblait avoir une vraie vision du DCU, et une sincérité intéressante dans les thèmes abordés (parmi lesquels on trouve, cruelle ironie, celui du deuil).


Le film n'est plus sombre, admettons, mais alors qu'est-il exactement ? Rien, et c'est tout le problème. Tout au long de son déroulement, sauf peut-être dans ses premières scènes, inscrites dans la continuité de Batman v Superman, l'action se déroule dans un univers vide, sans identité ni enjeu, et d'une laideur dont la constance étonne, même pour un blockbuster. Résultat, tout sonne faux, ou profondément dérisoire. Quelle importance accorder aux évènements si ils se déroulent tous in abstracto, comme suspendus dans le néant ? Amputé de son fond, habituellement fait de questionnements mythologiques sinon philosophiques, le film tente maladroitement de se réfugier dans l'humour distancié, popularisé et utilisé à outrance par Marvel, qui ne fonctionne jamais puisqu'on le sent ajouté de l'extérieur, sans aucun lien avec le film. De plus, l'idée de concentrer cet humour dans les personnages de Flash et Aquaman sinon privés de toute personnalité le rend d'autant plus futile.


De ce scénario vide, sans enjeu ni humour, on pouvait espérer un peu de souffle dans la mise en images, majeur point fort de Snyder. Ce n'est même pas le cas : comme les dialogues, les décors font faux, entre fonds verts ratés et filtre couleur rougeâtre. Les scènes d'action n'ont aucun impact : personne n'est blessé ou en difficulté, sauf peut-être Batman, mais le film choisit de ne pas s'y appesantir, et les combats se transforment le plus souvent en une bouillie numérique infâme, à l'image du combat final de l'opus précédent Wonder Woman. Les acteurs sont peut-être le point à sauver du film, même si Gal Gadot montre de sérieuses limites, et que tous ont au maximum dix minutes dans le film pour jouer un personnage qui ne soit pas un simple soldat.


Justice League me consterne et m'apparaît comme le pire film du genre depuis une décennie (je n'ai pas eu le privilège de voir Suicide Squad), mais comme tous les ratages il est instructif. Ce film révèle à mon sens l'impasse dans laquelle les films de super-héros se sont enfermés, devenus de trop énormes machines à fric pour pouvoir se permettre d'avoir un propos ou une esthétique propres. Si je suis allé le voir, c'est que j'avais un espoir dans le ton propre au DCU, et dans l'implication de Snyder dans toutes les étapes de la construction du projet. Mais cet échec est révélateur de l'industrialisation du genre, voué à mourir pour qu'Hollywood change de proie.


D'ordinaire un film si mauvais, mélange d'esthétique ratée, de mauvaise écriture et de mise en scène aux fraises, serait presque à conseiller pour un visionnage au second degré. Mais pour cela, il faudrait qu'il ait une once de sincérité. Car comme pour aggraver ses défauts, cette œuvre mutilée a la triste impersonnalité des grands ensembles grisonnants, et il n'y a décidément rien de drôle là-dedans.

Larsen
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le 17 nov. 2017

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