Le DCmonde a-t-il besoin de Zack Snyder ?

Cher Zack,


Accepte tout d'abord que je te présente mes condoléances. Perdre un enfant doit être une douleur au delà de l'imaginable. Car ce n'est pas dans l'ordre des choses, à l'évidence. Et alors que les regrets doivent sans doute vous ronger, toi et ton épouse Deborah, Justice League, un autre enfant que tu as perdu, sort aujourd'hui dans les salles après une gestation troublée et contradictoire.


Oh, ce n'est pas de ta faute, tu sais.


Car on sait depuis bien longtemps que le monde de DC semble ne plus savoir vers quoi avancer. The Dark Knight et Man of Steel avaient pourtant posé des fondations plus que solides, qui garantissaient à la Warner des lendemains qui, à l'évidence, ne pouvaient que chanter. Sauf que la maison mère en a décidé autrement, malgré le succès du caped crusader et la réussite artistique pleine de puissance de l'homme d'acier. Parce que Warner regardait aussi un peu trop dans l'écuelle de la Maison des Idées. Jusqu'à en attraper sans doute un sacré torticolis au vu de la montagne de dollars amassée.


Il a donc fallu que la Distinguée Concurrence, loin d'être inspirée sur le coup, singe sans aucun recul ni discernement la recette du succès, sans aucun saint autre que ceux de Gal Gadot à qui se vouer. En résulte une sorte de bateau ivre que le succès public de l'un peu bétasse Wonder Woman ne saurait à lui seul cacher, les carences étant manifestes.


Warner a donc voulu rattraper son retard et mettre les bouchées doubles, sans installer la moitié de son casting dans un film dédié, et se frotter à Avengers, soit une des références du film de groupe de super héros.


Et c'est malgré la déception de Batman v Superman : L'Aube de la Justice, que le studio est revenu te chercher et, soi-disant, te faire confiance. As-tu eu au moins les coudées franches sur ce projet ? Ou as-tu investi le cahier des charges du mieux que tu pouvais de ton cinéma et de tes obsessions ? Ne réponds pas, Zack, après tout. Parce que sans doute une clause de ton contrat t'en empêchera pendant encore longtemps, je comprends...


En l'état, "ton" Justice League, parce que malgré tout, c'est toi qui es crédité comme réalisateur, souffle le chaud et le froid.


Car le film se présente à l'évidence comme une créature de Frankenstein. Parfois extrêmement puissant dans l'entertainment qu'il propose, parfois assez consternant dans son humour, à l'image d'une production et d'une promo parmi les pires qui soient pour un blockbuster moderne, Justice League est le fruit d'un système erratique qui se bouffe lui-même quand il ne sait plus quoi faire pour rattraper les choses. En témoigne par exemple nombre de séquences des différentes bandes annonces qu'on ne retrouvera pas dans le montage final, comme si les exécutifs et leur réalisateur de secours ne savaient pas quoi faire de tout ce que tu avais filmé avant que le drame ne te frappe.


Pourtant, la première moitié fait plus que tenir la route et porte ta patte sombre, même si elle souffre d'un rythme au pas de charge qui dessert l'entrée en scène des nouveaux membres de la ligue. C'est tout juste si on les présente, comme si cinq secondes de présence dans Batman v Superman pouvaient suffire en la matière. Mais malgré le handicap, le film tient debout, d'une assez superbe manière, traitant enfin le personnage de Wonder Woman dignement et et de façon puissamment iconique, loin de ce que en avait fait Patty Jenkins et son féminisme assez idiot. Pas une mince performance, Zack, si tu veux mon avis.


Cette très bonne première moitié se conclut par ailleurs sur une baston de groupe assez formidable, autour d'un retour attendu, dans une rage aveugle et sans contrôle. On ne peut s'empêcher de la mettre en parallèle avec ce que tu as dû endurer dans la vraie vie, derrière ta caméra, où ton héros, sans costume, se fritte contre ses condisciples, représentant sans doute l'industrie et cette avidité purement comics qui sont venus te tirer d'où tu étais, te soumettre à leurs diktats, t'arrachant à ta famille. Pure interprétation de ma part, sans doute. Mais peut être un propos inconscient ? Un lapsus révélateur ? Ou encore un message pirate et parasite, qui serait passé sous le nez de tes producteurs, et qui prendrait tout sous sens avec cette ouverture qui n'a à première vue rien à voir avec le reste du film. En forme d'interview Youtube, où Superman, désabusé, mélancolique, reste silencieux quant à la principale qualité de la Terre (de Warner ?). Et immédiatement suivie de ce plan sombre sur une manchette titrant "la mort de Superman". Une tagline qui peut résonner dans la réalité comme une amertume, suite à l'accueil plutôt froid de ton Man of Steel...


Mais je m'égare...


Sauf que passé le combat des chefs qui semble te tenir à coeur, on sent comme une césure, un changement radical d'appréhension de l'univers qui ne t'appartient plus. Moins sombre, plus de parlottes stériles en réunions, les reshoots sont ici plus que manifestes, voire contre productifs. Car jusqu'ici, l'humour de Joss Whedon, appelé en renfort, pouvait s'envisager comme quelques pansements My Little Pony sur les genoux croutés d'un gamin de quatre ans hyperactif. La seconde partie inverse cette tendance. Les punchlines deviennent omniprésentes via le personnage de Flash, aux limites du supportable malgré le design de son costume assez fantastique ou de scènes inutiles aux références polémiques.


Justice League souffrira en outre du rush extrême de ses enjeux, laissant rêver au film de deux heures quarante ou en deux parties qu'il aurait dû être et qui aurait permis de le rendre plus tragique, plus efficace, plus posé dans ses enjeux et puissant dans les vilains convoqués. Car désolé, Steppenwolf n'est qu'un adversaire assez quelconque de plus, tare récurrente du DCverse depuis quelques films. S'il fait illusion, surtout lors des jolies rixes dans lesquelles il évolue sans doute devant ta caméra toujours aussi alerte, le climax le dessert. Car celui-ci vire rapidement au CGI friendly couleurs orangées, comme d'hab' une fois encore, où ne surnageront que tes quelques clins d'oeil fugitifs au Hibou de ton formidable Watchmen, oeuvre somme où tu avais tout pouvoir dans ton adaptation. Ce qui est sans doute loin d'être le cas ici.


L'apport de Joss Whedon dépersonnalise un peu plus encore l'entreprise. sans doute payé un pont d'or pour faire la nique à Marvel, celui-ci ne s'illustrera que dans la blague assez grasse, loin de sa superbe affichée dans Avengers. Car filer du pognon à un gars pour un gag se résumant à faire tenir une bombe de Baygon vert pour se défendre des paradémons, excuse-moi, mais moi, j'appelle ça se foutre un peu de la gueule de ses employeurs.


Pourtant, Warner lui a fait confiance. Bon, pas au point de le créditer en tant que réalisateur, hein, car il faut sans doute garder une cartouche en réserve.


... Et trouver un coupable en cas d'échec. Car comme la promo' honteuse le laissait présager, en mode "Snyder a pris la mauvaise direction pour le DCVerse", sûr que la Warner, et les critiques, sans doute en mode "Cacavengers", blague à la hauteur d'un Joss Whedon, te tomberont sur le paletot et te rendront responsable de la déroute artistique. C'est si facile, Zack, d'achever un homme à terre que l'on a dépossédé de son enfant...


Or, les aspects les plus réussis de ce Justice League, Zack, on te les doit sans doute, sans réserve. Assez solide pour divertir, juste assez bon pour relever le gant, le film s'apprécie sans doute en mode off des neurones mais n'ennuie à aucun moment. Parfois assez joli, le temps de quelques séquences inspirées, le film ne vaudra sans doute pas la volée de bois vert qu'il se prendra par avance de la part des habituels masochistes qui auront payé leur place day one pour déverser leur bile sur ta personne et sur les super héros en général.


Allez Zack, courage. Je t'adresse toutes mes pensées en ces temps difficiles.


Behind_the_Mask, qui n'est pas super chaud pour travailler en équipe.

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le 15 nov. 2017

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