En toute logique cinéphile, il ne restera de la trilogie Jurassic World, aucune empreinte fossilisée dans les mémoires. Au commencement, tout viendrait d'une suggestion mentale. Le mot "Park" se substituant au mot "World". Une promesse d'élargissement périmétrique s'insinuant en toute tranquillité dans l'esprit de nos chères têtes blondes. Vos parents s'en sont tenus à un parc ? Universal et Amblin offriront à ses nouveaux enfants, LE MONDE JURASSIQUE. Pour les futurs spectateurs, c'est une ouverture fantasmatique du champ des possibilités infinies de l'ordre technique. Pour les investisseurs, "World" connote davantage la mondialisation du blockbuster (pléonasme ?) et par ricochet le marché asiatique aujourd'hui accessible. "World" est la traduction de "Monde" et, par glissement sémantique et anglicisme accrue, celui-ci ne peut qu'emplir le chant lexical du corporatisme (Corporate World = monde du business = World Company). Le delta entre le produit de l'émerveillement et le pilotage d'activité sur tableur n'a jamais été aussi mince. Finalement, tout ce beau petit monde terminera devant un écran. Le col blanc devant son benchmark, le spectateur devant sa télé HD. L'exécution de l'oeuvre, quant à elle, reste la preuve tangible de la l'implication modérée de ses auteurs. Comment les deux premiers volets de Steven Spielberg peuvent-ils se muer en sequels aussi desincarnés. Certains expliqueront qu'il existe de bons outils donnés à de mauvais artisans (Trevorrow) ou encore de bons auteurs cernés par les conventions et desservies par une écriture rachitique (Bayona). On parlera, dès lors, de forces contraires et de neutralité créatrice. (Spielberg agissant en qualité de producteur exécutif administratif et non plus producteur exécutif conseiller artistique comme ce fut le cas lors du golden age de Amblin.) De ce fait, remémorons-nous les vingt-cinq dernières minutes de Fallen Kingdom héritées du style gothique des Universal Monsters et noyées dans de vieux motifs de la franchise. Un éclat de diamant niché au coeur d'une boule de charbon. Les billets verts engrangés ne sont que la couverture étendue entre deux clous en guise de paravent. L'érosion du plaisir est bien réelle déversant un produit intellectuel frelaté issu du visionnage des deux segments précédents. Il faudra nécessairement que quelqu'un ou quelque chose paie cet insupportable plaisir éphémère.
La législation Hollywoodienne implique toujours le rite de l'agneau sacrifié sur l'autel de la critique estivale. Il faut dire qu'en matière d'insolences artistiques, Bullet Train et ses trois pelés dans un compartiment et l'affront mythologique de Thor, Love & Thunder (Son Zeus efféminé en jupette) posaient leurs médiocrités cinématographiques à hauteur d'yeux. Pourtant, celui qui n'en demandait pas tant fut rapidement couronné roi de l'imposture visuelle. Le Monde d'après écope logiquement de par l'inertie artistique passée de la saga mais également de ses tentatives d'émancipation. Un écart trop flagrant entre son iconographie surfilmée depuis trente ans et les nouveaux terrains de jeu qu'il s'adjuge. On ne contera pas à nouveau la triste histoire d'une lapidation en direct d'un volet perméable à toutes les carences possibles et imaginables. Pêle-mêle: L'écriture abracadabrantes des seconds rôles avec en tête Omar Sy passé de soigneur à espion, l'exiguité des chemins permettant aux personnages de passer tous au même endroit, le climax final photocopié, le mimétisme devenu gimmick des mouvements issu du film original, la promesse non tenue de la race humaine vivant avec les sauriens...etc...etc... Avec une telle chandelle de morve sur la face du dernier rejeton, difficile de ne pas prendre le parti d'un spectateur floué par tant d'écueils. Après deux segments louchant copieusement sur les thématiques des deux premiers films de Spielberg (L'homme, Dieu et la création scientifique pour Jurassic Park - Le capitalisme et l'écologie pour Le Monde Perdu), ce dernier volet surfe logiquement sur l'hétérogénéité en injectant des composants en apparence contradictoire avec la saga. Le Monde d'après baisse sa garde et tente la greffe (forcée) de l'action urbaine, du western neigeux (avec l'effet escompté d'obtenir le canon artistique de La Planète des Singes: Suprématie de Matt Reeves ?) pour mieux achever son périple dans un carré exotique, là-même ou Jurassic Park prenait sa source en 1993. De toute évidence, il fallait que ce sequel s'exprime de manière différente quitte à rompre avec l'idée très précise de ce que le spectateur avait de la franchise. Et de ce rejet maintenu par la critique internationale puis relayé par le public considérant unanimement chaque choix comme rédhibitoire, ce nouvel opus s'inscrit directement dans la longue liste des moutons noirs des séries à succès. Colin Trevorrow , très au fait des reproches faits à Jurassic World premier du nom, a néanmoins renversé la vapeur en s'assurant d'obtenir de l'authenticité en usant d'animatronics tout en instaurant des espaces jamais foulés. Le coup de collier n'aura visiblement pas suffit à séduire.
Quelques voix s'élèveront dans l'espoir de révéler que derrière "la croute" se joue un tout autre film plus en phase avec la vignette du récit d'aventures aux fortes influences littéraires fusionnant avec la sempiternelle image de l'anticipation scientifique. Avant visionnage, le premier indice se joue sur l'affiche du film synthétisant à lui seul l'esprit serialesque entrepris. Un nouveau cap pour une exploration aux fortes connotations "Julesvernienes". Alan Grant (Sam Neill) torche en main entouré d'Ellie Sattler (Laura Dern) et Ian Malcolm (Jeff Goldblum) esquisse la fameuse scène des Dimetrodons dans Voyage au centre de la terre de Henry Levin. Le Monde d'après a cette ambition d'être le chainon manquant entre l'émerveillement suscité par la littérature de science fiction du XIXème siècle soit l'interaction fantasmatique entre l'homme et les dinosaures associée à une écriture scientifiquement plus pragmatique en l'occurence celle du romancier/scénariste/réalisateur et médecin Michael Crichton auteur du Jurassic Park original. La forte tendance de ce dernier volet de la trilogie est de scinder le récit en deux équipes distinctes. La première, celle issue du blockbuster moderne et immédiat avec comme guide Owen Grady (Chris Pratt) en opposition avec la seconde plus à même de répondre aux sensibilités du spectateur. Un cheminement naturel qui mènera Alan Grant, figure cérébrale de la saga, de l'enquête à la confrontation animale.
Et soumettre enfin Le Monde d'après à un héritage issu des romans et des adaptations cinématographiques de Crichton. Les moustiques figés dans l'ambre ont laissé place à l'ADN de sauterelle dans un décor proche de celui du Mystère Andromède de Robert Wise. Il était temps de rendre à César ce qui appartenait à César.