Jurassic Park reste peut-être l’un des exemples les plus probants d’une saga dont les suites n’auront jamais atteint la grâce de l’original. En 1993, le film de Steven Spielberg révolutionnait l’industrie du blockbuster grâce à une utilisation avant-gardiste des effets spéciaux numériques mais aussi et surtout une vraie maestria d’écriture et de mise en scène qui continuent de l’imposer comme l’un des plus brillants divertissements du cinéma contemporain. Le réalisateur lui-même n’avait pas réussi à dépasser l’aura de sa création en réalisant sa suite. Le Monde Perdu (1997) s’embourbait dans un script ambitieux mais peinant à atteindre la maîtrise du premier volet, alourdi par des personnages sans relief et se réduisant à une gigantesque partie de chasse entre dinosaures et humains, régressive mais jouissivement réalisée. Spielberg avait par la suite abandonné son poste, laissé à l’honnête faiseur Joe Johnston pour Jurassic Park III (2001), un film sans ampleur, inoffensif, dont les résultats décevants forcent Universal à mettre la saga en pause.


Critique à lire sur La Dernière Séance


Il faut attendre 2015 pour voir les dinosaures renaître de leurs cendres avec Jurassic World. Immense succès, le film de Colin Trevorrow s’inscrit dans cette tendance très contemporaine consistant à ressusciter des sagas prestigieuses (et bien entendu, immensément lucratives) en leur donnant une aura de nouveau départ tout en s’inscrivant dans la continuité des précédents films. Ainsi, à la manière d’un Star Wars : Le Réveil de la Force, Jurassic World se construisait avant tout comme un commentaire du premier film de la saga, qui en décalquait consciemment la structure et communiquait avec le spectateur à grand coup de références et autres clins d’oeil, tout en assumant de n’être qu’un produit dérivé bien loin de la grandeur de l’original.


Une telle démarche pouvait éventuellement se suffire à elle-même le temps d’un film, mais une suite se devait d’imposer sa légitimité en emmenant la saga vers des sentiers différents (comme l’avait d’ailleurs fait Rian Johnson avec Les Derniers Jedi, au grand dam d’une partie des fans). C’est sans doute pour cela qu’Universal a préféré recruter du sang neuf pour la suite de Jurassic World en embauchant Juan Antonio Bayona au poste de réalisateur. Le cinéaste espagnol, protégé de Guillermo Del Toro et spécialiste du film de genre, registre au sein duquel il s’est notamment illustré avec L’Orphelinat ou encore Quelques minutes après minuit, semblait à même de satisfaire les exigences du studio tout en imposant une patte d’auteur qui manquait visiblement à Trevorrow.


Jurassic World : Fallen Kingdom démarre donc dans le sillage du premier volet, au cours duquel le fameux parc de dinosaures d’Isla Nublar avait dû fermer ses portes suite à l’évasion du terrible Indominus Rex. Les sauriens restants subsistent toujours sur l’île mais celle-ci est menacée de destruction par une éruption volcanique imminente. La situation génère un débat qui scinde l’opinion publique : doit-on sauver ces animaux ou laisser disparaître des créations contre-nature qui n’ont plus leur place sur Terre ? Le duo principal du premier film, Claire (Bryce Dallas Howard) et Owen (Chris Pratt) choisit son camp en prenant part à une expédition visant à extraire les dinosaures de leur environnement à l’agonie.


Il n’y a pas de hasard : là où Jurassic World premier du nom suivait les traces du premier film de Spielberg, Fallen Kingdom adopte un point de départ relativement similaire à celui du Monde Perdu, à savoir une expédition de secours au sein d’un environnement hostile, infesté de sauriens revenus à l’état sauvage. Les mêmes thématiques s’y retrouvent d’ailleurs, à savoir la question de la condition animale et le conflit entre la préservation des mastodontes à écailles et leur utilisation à des fins mercantiles. Le film de Juan Antonio Bayona apporte pourtant une solide nuance à ce dilemme : la thématique de l’extinction. A travers le film, les personnages sont ainsi confrontés au choix de sauver ou non les derniers dinosaures d’une disparition définitive.


L’on retrouve ainsi un questionnement faisant directement écho au propos du film de 1993, qui posait la question de la légitimité du progrès scientifique. Est-ce qu’on a le droit de ramener les dinosaures à la vie parce qu’on en a le pouvoir ? Près de 25 ans après, Fallen Kingdom formule la suite de cette question : dès lors que l’irréparable a été commis, l’humanité peut-elle réparer son erreur ? Ou est-elle condamnée à vivre avec la responsabilité d’avoir changé le cours de l’histoire à jamais ? Là où Le Monde Perdu s’arrêtait à un simple message environnementaliste, le cinquième film de la saga remet au premier plan la part de la science et le syndrome de l’auto-déification de l’être humain. Thématiquement, osons le dire, Fallen Kingdom est le film le plus intéressant de la saga depuis le premier et peut-être sa suite la plus légitime.


Il est d’autant plus dommage que la qualité du script ne suive pas. La perfection du premier film tenait autant à la qualité de sa mise en scène et de ses effets spéciaux, qu’à un scénario rodé, équilibré dans son traitement des personnages, savamment orchestré dans son déroulement et opérant constamment une fragile balance entre émerveillement, remise en question et frayeur. Aucun des films suivant n’a atteint un tel degré de maîtrise dans son scénario, et Fallen Kingdom ne fait pas exception à la règle. Le scénario n’arrive clairement pas à la hauteur de ses ambitions thématiques et se complait dans un traitement plan-plan, au sein duquel les personnages ont bien du mal à s’imposer.


On se demande par exemple où était la pertinence dans le fait de réutiliser le duo principal du premier film, tant cette suite ne leur offre rien d’intéressant. Claire perd ainsi tout le relief que pouvait avoir son rôle dans le précédent film, au-delà de ses atours de pimbêche à hauts talons, pour devenir une simple militante aux motivations peu explicites et à la personnalité inexistante. Le personnage d’Owen n’a quant à lui pas évolué d’un iota et ressort toute sa panoplie de survivant/surhomme sarcastique. La relation du couple se contente de platement répéter la progression du premier film, sans la moindre valeur ajoutée. Le film n’est pas aidé par son vilain, un énième capitaliste véreux obsédé par l’idée de s’enrichir à l’aide des sauriens. La saga n’a jamais brillé par ses opposants humain, généralement réduits à ces rôles unilatéraux, un écueil d’ailleurs évité par le premier film et son absence de méchant humain principal.


A côté de cela, les personnages secondaires révèlent un potentiel hélas peu exploité. On sera par exemple occasionnellement ému par le rôle de James Cromwell, pensé comme un pendant de John Hammond à la sincérité émerveillée, ainsi que par sa petite-fille, la jeune Maisie. Mais là où le rôle dans l’intrigue et le développement thématique des deux personnages se veut essentiel, le traitement en est tellement bâclé qu’une grande révélation sensée tout remettre en question arrive comme un cheveux sur la soupe, balancée au milieu d’un dialogue, et a plus l’effet d’un mauvais twist de série B qu’autre chose. Il faudra également ravaler sa déception face au cameo de Jeff Goldblum, mis en avant par la promotion et pourtant fort peu présent en dehors d’un monologue le voyant rabâcher ses propos du premier film à coup d’irresponsabilité scientifique et de théorie du chaos.


Plus généralement, la structure narrative du film lui fait également défaut et si on suivra avec plaisir une première partie un peu stupide mais généreuse, et se clôturant sur un impressionnant climax, la seconde moitié s’embourbe dans une histoire tirée par les cheveux, à coup de manoirs et de ventes aux enchères. Le film y atteint un point mort narratif et ne parvient plus à décoller avant les vingt dernières minutes. Globalement, l’histoire manque de générosité, ne joue pas assez de la confrontation des sauriens avec le monde extérieur pourtant habilement teasée dans les trailers, et n’assume pas la potentielle débilité de son script.


Si Fallen Kingdom parvient malgré tout à briller par moments, c’est avant tout grâce à Juan Antonio Bayona. Archétype du “petit” auteur propulsé aux commandes d’un énorme blockbuster, Bayona n’a clairement pas bénéficié d’une liberté de manœuvre totale et le film accuse son statut de création de studio au cahier des charges imposant. Néanmoins, le réalisateur apporte avec lui une patte clairement absente du précédent opus et joue de son expérience dans le film de genre. La photographie est plus travaillée, les cadrages plus soignés et on se plaît à admirer certains plans pour leur pure valeur picturale. On peut également louer une conception de l’action qui évite le sur-découpage pour privilégier des plans longs et une lisibilité optimale, s’amusant même occasionnellement à jouer sur différentes échelles au sein d’une même prise.


Mais c’est surtout dans son héritage horrifique que le metteur en scène brille et parvient à renouveler le cadre référentiel de la saga. Dans sa manière de filmer les créatures, d’utiliser les ombres, les hors-champs et la suggestion, Bayona rend à la saga son aura d’épouvante, distillée au fur et à mesure d’épisodes de plus en plus grand-guignolesques. Dans ce cadre, le choix de situer le climax dans un manoir, avec toute l’imagerie y étant liée, constitue un agréable renouvellement et permet de resserrer l’action pour trancher avec l’overdose spectaculaire qui caractérisait les conclusions des autres suites de la saga. Ce sont clairement les dinosaures qui bénéficient du traitement du metteur en scène, plus que les humains dont il semble se désintéresser. Les deux passages les plus émouvants du film placent d’ailleurs les sauriens au premier plan et voient le réalisateur jouer avec une corde émotionnelle liée à un imaginaire collectif fort, cristallisé il y a plus de 25 ans par Steven Spielberg.


La contribution de Bayona ne parvient cependant qu’à partiellement sauver un film extrêmement bancal dans son récit et aux personnages écrits en pilotage automatique. Malgré ses bonnes intentions et son potentiel thématique, malgré les qualités de son réalisateur, Fallen Kingdom n’est pas la suite qui parviendra à restituer l’aura de magie du premier Jurassic Park, si telle en a jamais été son intention.

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le 5 oct. 2018

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