Que ce soit sur le fond ou sur la forme, le Joker rayonne. Rares sont de telles œuvres à répondre aux critères qui mènent à l’excellence cinématographique.


Le portrait psychologique du protagoniste est dressé avec une finesse difficilement égalable, que l’on retrouve dans des chefs d’œuvre du cinéma. La chute progressive du Joker dans la démence fait écho à d’autres figures cinématographiques comme Casanova de Fellini ou encore à Alex et Eric d’Elephant de Gus Van Sant qui sont eux aussi des personnages torturés et dont la descente aux enfers constitue le fil directeur de l’œuvre. La première facette du Joker se révèle donc être celle d’un thriller psychologique complexe et stimulant.


Il est difficile de poser des mots sur la performance de Joaquim Phoenix tant elle est envoûtante et magistrale. Nous pouvons définitivement parler d’un jeu d’acteur vibrant et addictif qui m’a personnellement transcendé tout au long du film.


Les références à l’illustre Requiem for a Dream de Darren Aronofsky sont nombreuses et sont aussi bien placées les unes que les autres. Elles font parfois l’objet de séquences entières, notamment lorsqu’Arthur Fleck est frappé d’hallucinations alors qu’il se trouve sur le canapé de son appartement, s’imaginant déjà sous le feu des projecteurs dans le cadre de l’émission de Murray Franklin. Le costume rouge alors porté par le Joker lors de cette séquence me semble être une subtile référence à la robe rouge de Sara Goldfarb, de même que les hallucinations et la fascination morbide pour le show-télévisé partagées par les deux personnages dans leurs œuvres respectives. Mais nous pouvons relever de nombreux autres exemples, notamment liés aux lieux comme la salle de bain vétuste, l’hôpital psychiatrique, le show-télévisé, l’ascenseur, etc. … Des détails, plus difficiles à repérer, comme le cadrage en gros-plan sur les médicaments que s’apprête à prendre Arthur Fleck avant sa séquence hallucinatoire, sont parsemés comme des indices au fil du long-métrage afin de faire écho à Requiem for a Dream et plus spécifiquement à l’usage de psychotropes qui occupe un thème central dans le film.


Quant à l’esthétique visuelle du Joker, elle est on ne peut plus soignée. Des cadrages à la lumière en passant par les jeux de couleurs et les mises en scène jusqu’au choix des lieux, le film est délectable sous tous ses angles. Sans oublier la Bande Originale réalisée par la violoncelliste islandaise Hildur Guonadottir qui contribue fortement à l’ambiance hypnotique et obscure de l’œuvre. Au-delà de la forme, cette esthétique ne va pas sans profondeur. Je pense notamment à la scène de la Bathroom Dance où le cadrage sur le damier noir et blanc vient illustrer la dualité entre le bien et le mal et donc la perte progressive de repères du Joker, ce dernier ayant franchi la frontière à la sortie du métro.


Thriller psychologique, performance artistique, claque esthétique … Mais aussi film engagé ! Le Joker véhicule des valeurs qui ne sont pas sans délivrer un message socio-politique que chacun peut interpréter comme il le souhaite. Le film de Todd Philipps dénonce le manque de services publics et d’attention destinés aux marginaux de la société comme les individus souffrant de troubles mentaux mais s’attaque plus généralement à la question de la précarité, du chômage et de la justice, comme le fait Ken Loach dans ses œuvres cinématographiques … Le Joker serait-il l’anti-héros des temps modernes ?

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le 2 nov. 2019

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